Micropsychanalyse

 

« Nous ne réagissons aux choses qu'en proportion de ce qu'elles nous concernent, nous visent, nous interpellent, consciemment ou non, et que, pour essayer de vivre, nous passons notre temps à déformer nos souvenirs et expériences personnelles, si ce n'est à les refouler complètement. »

Silvio Fanti

 

Rencontre avec mon psychanalyste à Couvet en Suisse

 

Philippe... une longue histoire. Au début, j'ignorais tout de la psychanalyse, et je ne savais pas qu'il était psychanalyste.

Je l'ai rencontré sur un court de tennis, en terre battue bien rouge. Cette première rencontre commença par un affrontement. A cette époque, je devais toujours me battre contre les autres - les autres mâles, je dois préciser - avant de les accepter. Sans doute un besoin archaïque de mammifère en mal de socialisation. En 1976, j'allais souvent à Fleurier rendre visite à un ami, François, pour jouer au tennis, discuter, ou encore apprécier les excellents plats que nous préparait Pierrette, sa charmante épouse.

Un jeudi après-midi, j'arrivais donc au club-house de Fleurier. Ma vieille Fiat jaune orange, avec ses taches de rouille, tranchait toujours sur les autres voitures. Les joueurs de tennis ont du standing ! Mais on m'acceptait tout de même. Je jouais bien, cela arrangeait les choses, et on me trouvait sympathique. La carrosserie de mon véhicule s'accordait parfaitement avec mes idées révolutionnaires et complètement utopistes. Générosité ringarde d'adolescent retardé. J'avais vingt-quatre ans !

François venait de jouer un double. Cela avait dû être dur pour lui. Affalé sur une chaise du club-house, la respiration encore difficile, il s'épongeait le front.

- Salut François, qui t'a fait souffrir de la sorte ? lui dis-je souriant, en posant mon sac et ma raquette sur le banc mural.

- Eh salut. Tu es presque à l'heure ! me répond ironiquement François.

J'ai toujours eu beaucoup de difficultés à respecter l'heure de mes rendez-vous. Ce jour-là j'avais une bonne demi-heure de retard.

- Je me suis rendu d'abord chez toi, et j'ai encore bavardé un moment avec Pierrette. Excuse-moi, je n'ai pas vu le temps passer. Tu me connais, dès que je discute...

- Oh oui ! J'en ai profité pour jouer un double. Tu vois le grand gaillard là-bas. Son service, une vraie fusée; il vient de nous mettre une de ces raclées ! Fais un match avec lui et venge-nous !

François me désigna un homme plutôt grand. Je remarquai surtout son importante panse. Bouddhique ! Je n'aimais guère les gros, les trouvant faibles de caractère à s'empiffrer tellement. J'avais des principes ! Il s'entraînait, servant de tout son poids. Les balles allaient s'écraser avec violence contre le grillage.

J'entrai sur le court, la raquette sous le bras gauche, une boîte de balles jaunes dans la main. J'avançai prudemment.

- Daniel, dis-je, la main tendue.

De l'autre côté du court, le Français venait à ma rencontre, poli et jovial.

- Philippe G., me répondit-il avec courtoisie.

Le tennis possède son rituel. C'est par les deux mains serrées cérémonieusement au-dessus du filet, que nous faisions connaissance. Ce sport se pratiquait encore entre gens de bonne compagnie !

Aux longues balles de fond de court succéda la question classique :

- On fait un petit match ?

Je remportai facilement la victoire, sous l'œil intéressé de François, ravi et fier de moi, le jeune champion qui défendait si bien les couleurs du Vallon !

- Tu viens à la maison ? me demanda François.

- Bien sûr.

- Et vous, Monsieur G.

- Je suis libre ce soir, volontiers.

Tous les trois, nous sommes allés chez François. Comme d'habitude, Pierrette se montra très accueillante. Les bonnes bouteilles du canton furent débouchées nombreuses. Philipe G. semblait beaucoup apprécier le vin blanc de Neuchâtel.

Quelques mois plus tard, Philippe s'occupa de mon père. Le soir avant d'entrer au pénitencier de Bellechasse, pour y purger mes cinq mois de prison pour objection de conscience, je passai avec Philippe une superbe soirée chez Fanti, le fondateur du mouvement micropsychanalytique. L'ambiance dans sa maison de maître à Couvet m'apparaissait plutôt fellinienne. J'avais bien aimé.

Puis Philippe G. s'éloigna de Neuchâtel pour d'autres horizons. Je lui donnai l'adresse de mes parents. Au cas où...

Nous nous étions séparés dans un bar neuchâtelois, au 21, lieu de rendez-vous favori des gymnasiens et des étudiants. J'en étais encore à vouloir démontrer la supériorité de la sociologie sur toutes les autres sciences humaines, notamment la psychanalyse. Philippe me rétorquait simplement:

- Fais d'abord ton analyse, tu jugeras après.

Puis devant mon obstination, avant de s'en aller, il me dit avec beaucoup d'affection :

- Eh bien, Daniel, je te souhaite trois fois bonne chance. Tu en auras besoin.

A cette époque, je me demandais la raison de ces bons vœux. Je pensais n'en avoir jamais besoin.

C'était fin 1976...

 

 

Rencontre avec mon psychanalyste à Paris

 

Fin 1978. Paris. Gare de Lyon. Dans le petit matin, des trains de banlieue, sales et bourrés de travailleurs à la mine fatiguée et hargneuse, ralentissent pour laisser passer les trains des grandes lignes. Les touristes et les cadres arrivent. Place !

Je sors de la gare. Paris m'est encore une inconnue. Je vagabonde dans les rues, au hasard. J'adore la marche et emprunte volontiers les petites ruelles. Il me faut trouver un hôtel pas trop cher et près de la gare. Après vingt minutes, rien qui me satisfasse.

En enfilade d'une longue avenue, j'aperçois au loin un monument, une grosse colonne, avec un personnage ailé au sommet. Curieux de nature, j'en oublie mon hôtel et presse le pas. Finalement je débouche sur un endroit impressionnant. « Place de la Bastille » m'indique un panneau. Subjugué je rencontre l'Histoire. Cette colonne massive me rappelle mes livres d'écolier. Elle y figurait comme le haut lieu révolutionnaire par excellence. Cette citadelle, symbole de l'arbitraire royal, fut prise et détruite par le peuple de Paris le 14 juillet 1789. Quelques prisonniers y furent délivrés. Cela me concerne ! Fasciné par cette rencontre, je me promène autour du monument, revivant intensément ce moment historique.

Après une longue rêverie, j'émerge brusquement de 1789, réveillé par le chambard furieux des voitures. Le romantisme cède la place à l'agression des klaxons et des gaz d'échappement.

Ma longue nuit de voyage m'a épuisé, surtout le passage de la frontière en clandestin. J'entre dans un bar au coin de La Roquette. En buvant mon café, je lorgne distraitement la façade d'un petit hôtel. « L'Avenir ». Il semble modeste, mais sa discrétion me tente. A cinquante mètres à peine, une bouche de métro s'ouvre. Argument décisif qui emporte mon choix. Plus tard, je la découvrirai très fliquée. Pourtant, les policiers me laissèrent toujours passer. Ma bonne mine, probablement. Je n'ai subi qu'un seul contrôle et mes faux papiers suisses résistèrent parfaitement à l'examen.

- Vous êtes touriste ? me demanda le policier, dans le long couloir sale du métro. Ses collègues s'occupaient d'autres passants pressés.

- Oui, depuis une semaine. Paris est magnifique ! Je m'y plais beaucoup, répondis-je au pandore qui regardait rapidement mes papiers.

Flatté par mes remarques, rassuré par mes habits et mon bon argent suisse, il me les rendit aussitôt. A sa décharge, mes faux papiers frisaient la perfection. « Mieux que des vrais » me confirmera un commissaire au demeurant fort sympathique de l'Office Central de Répression du Banditisme lors de mon arrestation, environ trois ans plus tard.

En cette fin d'année, Claudia laisse tout tomber en Suisse. Parents, amis, travail. Elle accepte de vivre avec moi dans la semi-clandestinité.

A cette époque, j'ai trouvé cela normal. Je n'ai même pas vu son courage énorme, ni la force de ses sentiments pour moi. Dans mes ennuis avec le monde humain, je peux exclure le monde féminin et celui des enfants. Je n'ai jamais eu à souffrir des femmes. Toujours, elles me donnèrent amour, joie de vivre, confiance en mon étoile. Elles tempérèrent ma haine des institutions, mais à cause de ma force intérieure, elles ne l'endiguèrent point. Pourtant, insensiblement à leur contact, je transmute ma rage en énergie créatrice. Une longue, très longue élaboration... qui prendra une grande partie de mon existence. Transformer la boue en or, opération difficile.

Claudia sort de son sac à main plusieurs lettres, des factures et des cartes postales. Mes amis écrivent toujours à mon ancienne adresse, certains d'entre eux ignorent encore ma situation de fugitif.

Par une carte de visite, Philippe m'annonce son installation parisienne. Il vient d'ouvrir son cabinet de psychanalyste dans le 8e arrondissement. « Juste un petit mot, cher ami, pour te donner mes coordonnées et te faire part de mon installation à Paris. Que deviens-tu ? Si l'occasion se présente, je te recevrai avec grand plaisir. Amitié Philippe. »

Je commence obscurément à saisir la signification des paroles et des vœux de bonne chance exprimés à Neuchâtel au bar 21 par Philippe deux ans plus tôt.

Pourtant, je n'arrive pas à percevoir ma situation catastrophique. Je me crois dans une situation héroïque. Un combattant de l'ombre à l'abri dans un sanctuaire. Dans un sens, cela est vrai. Mais ce qui l'est encore plus, c'est que je me trouve complètement paumé sur cette planète Terre. De tendance psychoïde, je ne m'en rends même pas compte. Heureusement, mon inconscient est plus sage. Il a immédiatement perçu ma planche de salut. Il m'incite à téléphoner à Philippe. Histoire de vérifier ce qu'il est devenu.

Cette carte de visite tombe bien. Claudia devient mon messager de l'espoir. Je téléphone à Philippe. Il m'invite chez lui. J'y vais seul, en éclaireur.

Je quitte mon petit hôtel de L'Avenir. De la Bastille, je me rends à L'Arc de Triomphe, au sommet des Champs-Élysées, pour y rencontrer Philippe. Tout un programme pour un villageois au passé récent épicé.

Le métro, bourré d'hommes, de femmes et de quelques rares enfants de toutes races et nationalités, m'étouffe des odeurs moites des corps chauds compressés, transbahutés à vive allure dans les boyaux obscurs de la Ville lumière. Spasmodiquement, une faune étrange et fascinante s'y meut dans un grouillement à peine humain, vision souterraine un rien angoissante. Je n'ai pas l'habitude d'affronter autant de visages étrangers et étranges.

Le hululement strident des sirènes annonce chaque départ. En retard, des passagers obstinés courent encore sur le quai. Parfois, il finissent pincés entre les portes verrouillées dans un claquement sec. Cela fait toujours rire. Le philosophe Bergson explique ça très bien dans un de ces livres, passons, je digresse. L'accélération du métro bouscule comiquement les gens vers l'arrière, mais personne n'en sourit. Après le travail, le moindre effort fait grimacer les prolétaires au visage fermé. Puis le brusque sifflement des pneus aligne tout le monde en position verticale. Les gens fixent leurs souliers; l'entassement humain évide les yeux de leur brillance habituelle.

Mon corps trouve un plaisir trouble dans cette agitation rythmée. Sensation nouvelle, souvenir? Mystère. Pas le temps d'approfondir. Qui pourrait penser dans cette nervosité urbaine et cette bousculade générale?

Philippe m'a précisé : « Station George V ». Mon plan de Paris sur les genoux me rassure. Du doigt, je suis ma progression souterraine. Encore deux arrêts, et je pourrai enfin quitter cette désagréable promiscuité. A la station Concorde, je me prépare. Rapidement cette fébrilité de néophyte me quittera. Deux hurlements de sirènes, deux crissements de caoutchouc, un quai jaune, Georges V. Des escaliers roulants, gris aluminium, grinçant légèrement dans leur mouvement sans fin, m'expulsent avec douceur sur les Champs-Élysées glacials. Légèrement décontenancé, je cligne des yeux et frissonne. La célèbre avenue semble déserte, les longs rubans mouvants et multicolores des touristes reviendront au printemps prochain. Frileusement les gens ont envahi les belles galeries marchandes.

Je repère la rue Balzac et me dirige vers elle. Sa raideur me réchauffe. A gauche, la rue Lord Byron. J'y suis. La grosse porte, la loge du concierge embuée, les escaliers de faux marbre rouge me semblent froids et hostiles. Mais un petit ascenseur ancien, ravissant avec ses grilles en fer forgé, m'invite au rêve. Mais je n'aime pas être enfermé et je le boude. Je gravis rapidement les escaliers en colimaçon qui craquent. Je regarde ma montre, juste à l'heure.

Au deuxième étage, je sonne. La porte s'ouvre. Je reconnais immédiatement la silhouette de Philippe.

- Content de te revoir. Tu sembles en bonne forme.

- Merci, ça va. Heureux de te retrouver. Avant ta carte, je ne savais même pas où tu vivais.

- Tu vois, je me suis installé à Paris comme psychanalyste. Entre.

Philippe m'invite à le suivre au salon. Il n'a pas changé, sauf sa bedaine, un peu plus importante. Une femme de l'âge de ma mère, bien installée dans un fauteuil de cuir, me salue. Je m'assieds confortablement.

- Qu'est-ce que tu désires boire ? me demande Philippe, encore debout.

- Un Coca.

- Prends plutôt un whisky-coca, en hiver cela s'impose, propose Philippe.

Sous le grand miroir du salon à la française, un feu de bois mourant rougeoie dans l'ambiance feutrée de l'appartement. La dame reste muette. Philippe sert à boire dans le silence. Après quelques minutes:

- Qu'est-ce que tu deviens ?

Lorsqu'une question m'embarrasse, je m'envole souvent dans de hautes considérations intellectuelles. Une défense automatique. Ce travers m'a passé. Mais à ce moment, j'étais en plein dedans. Alors, lecteur, accroche-toi un bref moment.

- Ces temps, ma vie est plutôt mouvementée. J'ai interrompu mes études. A l'Université, même en sociologie, j'avais l'impression que l'on éludait les véritables problèmes humains.

- Ah bon, intéressant. Pour toi, c'est quoi la sociologie?

- Pour moi, la sociologie permet de découvrir les lois qui gouvernent la naissance, le développement et le dépérissement des totalités humaines. En résumé, cela revient à découvrir le mal dans la société. Je vis loin des préoccupations individuelles, comme tu peux le constater !

Philippe, les yeux plissés, déguste son Chivas. Sa réponse, vocalisée sur un ton songeur, me surprend.

- Tu sais, en fait on ne s'intéresse qu'à soi, on ne parle que de soi ! Tu penses que le sociologue analyse la société. Et bien non, pas du tout. Il cause de lui, exclusivement de lui. Les images qu'il mobilise et jette sur la société restent, tant qu'il n'est pas analysé, l'exact reflet de ses conflits existentiels, assumés ou refoulés, qu'il vit lui-même. Le sociologue s'observe dans ce qu'il contemple. Image contre réalité.

Cette tirade, prononcée sereinement mais avec conviction, me déplaît au plus haut point.

- Mais non ! La sociologie aide à détruire la légitimité des dominateurs et fournit aux dominés une arme de critique et de compréhension indispensable. Les religions et les idéologies actuelles ne sont plus conformes au degré d'évolution de l'humanité, elles paralysent la créativité de l'individu et l'empêchent de devenir lui-même. A la racine de notre tête, des chaînes sont rivées qui nous empêchent de penser, de regarder, de marcher, de rêver, de sentir. Je refuse intellectuellement l'ordre de ce monde, et je suis même décidé à agir physiquement contre lui. Je pense me libérer de toute cette horreur par la sociologie, en étudiant les mécanismes sociaux, puis en agissant sur eux.

J'aurais pu continuer mon exposé des heures durant, mais Philippe m'interrompt.

- Je connais un autre chemin, ou plutôt une démarche préliminaire : l'analyse de soi-même. Rappelle-toi, Daniel, on ne fait que parler de soi, de ses propres problèmes, de rien d'autre. La société, c'est un alibi ! comme les parents, le pouvoir, les institutions. Un paravent des ses propres angoisses.

La discussion continue. Je me méfie beaucoup de la psychanalyse et de ses réductions hâtives sur le mystère humain. Je me révolte contre sa prétention à vouloir tout expliquer. Le monde autour de moi me semble complètement malade. Hanté par les drames de mon époque, je souffre des inégalités sociales, de la faim dans le tiers-monde, des guerres endémiques.

Lecteur, c'est vrai, je me répète. Mais pendant des années je ne pensais qu'à cela ! J'ai trop lu, écouté et vu d'informations sur le monde. J'ai mal digéré ce bombardement médiatique.

Philippe, imperturbable, se montre d'une patience extraordinaire et m'écoute toujours avec attention. C'est rare, les gens qui vous écoutent ! La femme nous a quittés depuis longtemps déjà, discrètement.

Pour finir, vers les deux heures du matin, Philippe me lance en plaisantant :

- Puisque tu as le temps, d'après ce que j'ai compris de ta situation, essaie quelques séances ! La psychanalyse n'est pas seulement une science, mais surtout et d'abord, une expérience personnelle.

Je prends cela comme un défi. Je désire prouver à Philippe, imbu de « sa » micropsychanalyse, la faiblesse de sa science face à la sociologie.

D'accord. Quelques séances d'essai. Je vais bien voir ce qui se passera ! Mais je n'ai aucune idée de ce qu'il faut faire.

- C'est très simple, me dit Philippe. Tu viens lundi prochain. Tu entres dans la salle de séance. Tu t'allonges sur le divan et tu exprimes simplement ce qui te passe par la tête, toutes tes idées, sans réfléchir, sans critique ni retenue. C'est ce que nous appelons les libres associations. Bien entendu, tu peux mettre l'accent sur l'une ou l'autre facette d'un même événement. Tu vois, n'importe qui peut faire cela. Les séances durent trois heures, et cela cinq jours par semaine. Vers la fin de l'analyse, la technique micropsychanalytique exploite encore certains appoints techniques, comme l'étude des photographies, de l'arbre généalogique, de la correspondance de l'analysé, voire la visite des lieux d'enfance. En général, les personnes en analyse limitent leur contact avec leur parenté et leur milieu professionnel. Cela, pour une question d'efficacité thérapeutique et de sécurité. Tu verras, les séances peuvent devenir parfois très éprouvantes, et il devient alors dangereux d'être confronté aux problèmes de la réalité avec un psychisme « en travail ».

- J'ai lu qu'en analyse, on ne devait pas rencontrer l'analyste, ni les autres patients.

- Dans notre technique, la vie sociale entre analyste et analysés est possible. Mais c'est le client qui choisit. D'ailleurs, on ne parle pas de patient, ce qui fait trop personne malade, mais client, parce que, en principe la personne se présente elle même comme désireuse de faire une analyse. Elle est donc un client.

- Qu'est-ce que tu entends par « vie sociale » ?

- C'est surtout les repas que nous prenons en commun. Habituellement, je vais faire une promenade, vers les 21 heures. On descend sur les Champs-Élysées, puis on va boire un pot. Les clients qui veulent venir sont cordialement invités. Il y a une seule règle à respecter: on ne parle pas de son travail analytique en dehors des séances. C'est techniquement déconseillé. Les clients sont aussi tenus au secret médical, et ce qu'ils voient ne doit pas être divulgué au dehors.

Quand est-ce que j'aurai des résultats ?

Philippe sourit devant ma demande d'efficacité, mais il me répond avec gentillesse.

- En règle générale, l'important ne se révèle qu'à partir de la trentième longue séance environ. Mais c'est vraiment à titre indicatif et dépend de chaque individu. Les longues séances quasi quotidiennes de la micropsychanalyse n'ont aucune commune mesure avec les courtes séances des techniques orthodoxes. Ce que tu découvriras à ton propre sujet à partir de la troisième ou quatrième heure de séance, tu ne le découvriras pas en mille séances de quarante-cinq minutes. En moins d'une année, tu te connaîtras parfaitement, et alors tu feras de ta vie ce que tu voudras réellement.

Vers les trois heures du matin, Philippe m'invite à boire un verre sur les Champs. Dans quatre jours je commence mon travail analytique. Quelle drôle de vie que la mienne. Le destin me fait passer des hold-up à une autre sorte d'expérience qui se révélera encore bien plus captivante.

Mais n'anticipons pas.

 

 

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