« Ne vous avisez pas d'être lâche envers vos actions, de les " laisser tomber " une fois commises ! Le remords est indécent. »
Nietzsche
Aujourd'hui, j'ai pas mal de petits
problèmes à régler. Des problèmes agréables. Je pars en vacances dans le sud de
Je viens de discuter avec Ricci, à
« Taba », nom de code de
Je ne devrais plus être à Paris depuis longtemps. Je sens des dangers qui me menacent. Pour certaines raisons la police pense de nouveau à moi. Les flics suspectent ma présence chez mon analyste.
Je sors du Métro, station Étoile,
en haut des Champs-Élysées. Dans mon sac noir, un litre d'eau distillée pour
une batterie de voiture. J'ai promis à une amie de m'occuper de son véhicule.
Les yeux rivés au sol je réfléchis à mon itinéraire vacancier. Une belle
Mercedes
Dans l'avenue Friedland, l'habituel trafic des voitures m'interdit la traversée de la route. J'attends au feu, pensif.
Feu vert. Je passe.
J'arrive à la hauteur de l'Étoile de Moscou, un cabaret russe tout près de mon studio. Une réflexion me vient à l'esprit : « Je devrais y aller une fois, pour voir l'ambiance de l'ancienne Russie et ... »
Je me sens subitement soulevé de terre. Plusieurs hommes se précipitent sur moi. L'un d'entre eux m'arrache mon sac. Penché en avant, un bras coincé dans le dos, des bruits de ressorts supplantent mes pensées. Des bouts de métal froid se collent à ma tête et s'enfoncent dans mon dos et dans mon ventre. Cinq points glacés sur mon corps. Puis je suis projeté dans une petite Renault bleue, anodine. Deux hommes m'encadrent et un troisième prend le volant. C'est un petit gars moustachu, avec un nez de rat. Il porte à sa bouche un micro, dont le fil disparaît dans la boite à gants.
‑ Allô !, allô
allô ! Ici équipe
La voiture s'engage dans l'avenue Friedland, puis se dirige vers le Faubourg Saint-Honoré. Je sais maintenant à qui j'ai à faire : l'antigang. L'OCRB, l'Office Central de Répression du Banditisme. L'année passée, ils me ratèrent d'une heure. Aujourd'hui, c'est moi qui me rate d'une heure. La roue a tourné. Je suis pris. Mais je ne dis pas un mot. Je rassemble mes forces.
Les flics fouillent mon sac. Pas d'arme. Ils semblent très surpris. Moment de flottements et d'incertitude. Ils envisagent une méprise. Se sont-ils emparés de Gérard ? Mon frère se trouve aussi à Paris ces jours-ci, pour une tranche d'analyse. Les policiers suisses avaient averti leurs collègues français.
‑ Il est très dangereux et armé jusqu'aux dents. Il se défendra jusqu'à la mort.
Et voilà que les flics français arrêtent un homme complètement désarmé. Cela leur déplaît. Ils se sentent floués.
Finalement, ils trouvent dans le double fond de mon sac mes faux papiers. Rassurés, ils exultent.
Alors, quel est votre vrai nom ? me demande victorieux un vieil inspecteur.
Je ne réponds même pas. Cette fois, je sais que je suis cuit.
Entre-temps, les flics vont chercher Claudia pour interrogatoire. A part son nom et prénom, ils n'en tirent rien. Courageuse, ma compagne. Et de toute façon, je ne lui confie jamais mes histoires.
Dites donc, vous êtes plutôt riche. Douze mille francs suisses et quinze mille francs français. En Helvétie, on voit que vous avez de l'argent. Il vient d'où ?
‑ Je n'ai pas à vous répondre. Je m'expliquerai en Suisse.
L'inspecteur français me prend en sympathie. Il trouve que j'ai beaucoup de caractère, et je n'étais pas armé. Ce fait compte beaucoup pour lui.
‑ Au fait, vous avez le droit de manger quelque chose. Bien sûr, vous devez le payer, mais je vois que vous en avez les moyens !
Beau joueur, je lance alors :
‑ Messieurs, je vous félicite. Je n'ai pas reçu de mauvais coup, ni de balles perdues dans la tête. Vous avez fait votre travail impeccablement, sans bavure. J'offre le champagne et le caviar à gogo.
Les flics français se regardent. Il a du souffle, ce jeune homme. La plupart s'écroulent, n'ont plus d'appétit, et voilà que ce blanc-bec propose, ma foi, d'excellentes choses.
‑ C'est une bonne idée admet l'un d'entre eux. Il n'y a rien dans votre dossier qui stipule la saisie de votre argent. Donc, vous êtes libres de...
Les deux inspecteurs suisses venus spécialement de Fribourg n'en peuvent plus. Ils ont planqué trois jours dans la rue Lord Byron, mangeant des sandwiches pour ne pas me louper. Et voilà que Bloch va manger un super repas de fête, sous leur nez. C'en est trop.
‑ Non, non... s'insurge l'inspecteur Joye. C'est de l'argent volé. Il faut le saisir.
Joye met en peine l'auditoire français qui s'imaginait déjà se régalant du caviar et du champagne. Pour éviter toute complication, les flics français renoncent à l'agape.
‑ En tout cas, vous avez droit à ce que vous voulez, me précise un inspecteur.
Je commande derechef une entrecôte, des pommes frites, une salade, et une bonne bière. Les Français m'apportent cela d'un bistrot voisin. Les flics fribourgeois, l'œil sombre, enragent. Bloch mangent avant eux ! et bien mieux que des sandwiches.
De bon appétit, je dévore mon souper. Avant plusieurs années, je n'en aurai jamais de cette qualité. Je le sais, alors je mange comme un condamné à mort qui conserve son mordant…
Dans les situations les plus embarrassantes, je retrouve toujours le même truc. Certains prient, d'autres s'angoissent, fument, supplient. Moi, je philosophe et je relativise ma situation. Un tic.
Revenons à ma situation. Le commissariat se trouve en pleine rénovation. Je passe la nuit dans la poussière, enfermé avec une prostituée, par manque de cellules. Je cherche le sommeil à même le sol, emmitouflé dans des couvertures sales. J'ai plié soigneusement mes vêtements et je les ai déposés sur un banc mural. Enfant, j'ai toujours eu soin de mes jouets, de mes livres et de mes habits. Pour cette nuit, un contrariété pourtant : je n'ai pas pu me brosser les dents. Ma longue éducation ne se laisse pas impressionner par les circonstances contraires.
Vers les sept heures du matin, les flics viennent me chercher. Le commissaire m'amène Claudia. Il la libère, n'ayant rien à lui reprocher. Sympa, il ouvre ma porte de cellule.
‑ Embrassez-le bien ! Vous ne le verrez pas de sitôt.
Ces paroles me vrillent le cerveau. Dure réalité. Mon combat va être long; mon itinéraire souterrain commence Faubourg Saint-Honoré et finira je ne sais où, s'il se termine un jour ?
Claudia a les yeux en larmes, ressentant une tristesse infinie.
Emmené à l'Ile de
‑ Monsieur Bloch, vous qui connaissez un peu Paris, qu'est-ce que vous nous conseillez d'aller voir ?
Je prétends ne rien connaître en prenant le prétexte de ma vie clandestine.
‑ Je ne sors jamais, alors je ne peux pas vous répondre.
Les flics suisses sentent que le courant ne passe pas bien entre nous. Le reste du voyage, ils se taisent, découragés par mon mutisme poli.
Je les quitte sans regrets et entre dans la souricière principale de Paris. Les gardiens du lieu me conseillent de leur laisser ma montre, l'argent et mes bijoux. Je suis surpris, mais refuse courtoisement.
‑ Là-dedans, s'il y en a un qui voit votre argent, il risque de vous tuer pour le prendre. Alors, soyez très discret.
Sur ces belles paroles, ils me libèrent dans une grande salle souterraine. Les gardiens n'ont rien exagéré. Mais ils ont oublié un détail. La prison, c'est d'abord une odeur. Quelque chose d'introuvable dehors. Une senteur invraisemblable pour les olfactifs délicats. Un mélange unique, un parfum spécialement réservé à la gent pénitentiaire. Moisissure, merdes diverses, crachats séchés, mégots froids, sueurs d'angoisse suintant des murs, soupe aux choux, pissotière. On n'arrive jamais à s'habituer à ces relents des bas-fonds administratifs. Vomissures sociales qui vous traquent à vie.
Je déconnecte les narines, et ouvre
grand les yeux. La prison, c'est aussi des gueules, des tas de gueules
rassemblés en vrac dans cet antichambre de l'enfer creusé sous
Juste en-dessus, les touristes se pâment devant la beauté des pierres sculptées et la légèreté des vitraux. Paris, Ville-Lumière. J'ai découvert ses entrailles. Un envers de décor répugnant. Après, la vie paraît dégueulasse pour longtemps, voire pour toujours. Plus possible de croire au babillage des innocents. Vacciné contre l'illusion. On devient méchant.
Je vais m'asseoir discrètement dans un coin et j'attends. J'attends toute la journée. Je ne suis déjà plus rien, ou peut-être encore juste un paquet de viande hanté de réflexions.
Dix-huit heures.
Trois matons, genre SS, font
l'appel et nous groupent. Les noms qui commencent par B sont emprisonnés à
Fresnes, d'autres vont à
Leur diesel en marche, de gros cars gris-bleu nous attendent dans les courtines du Palais de justice, tout près de Notre-Dame. Un à un, nous montons. Moutons dociles encagés sans bêlements. La fatigue d'une journée d'attente sous terre limite les geignements. Nous sommes une trentaine, des « A jusqu'à F », tristes, ou haineux, ou désespérés...
Les cars démarrent, encadrés par des estafettes bourrées de condés, chiens de garde modernes. A travers une fente, j'aperçois le dehors en lambeau. Il fait encore jour. Très dur au printemps d'aller en taule. La sève monte partout. Le soleil couchant caresse les jambes nues des jeunes filles. Dans les embouteillages, nous remontons lentement la rue Saint Jacques, parallèle au Boulevard Saint Michel. Sur le trottoir, j'aperçois les tables du Polly Magoo, un petit bistrot où j'allais souvent, qui accueillent déjà quelques fadas des échecs. Serrement de cœur.
A Fresnes[X1], petite commune dans la périphérie de Paris, entre 3000 et 4000 prisonniers sont entassés dans trois énormes immeubles grisâtres, entourés d'une double enceinte de plus de dix mètres de haut, avec miradors et hommes en armes. Ce n'est pas la prison, mais un camp retranché. On y ressent une ambiance de guerre sociale presque totale.
Le lieu est pourri par excellence, merdique. Prison organisée sur le modèle des camps de concentration. Des prisonniers y deviennent collabos; de vraies salopes. Un maton me fouille consciencieusement en tournant autour de moi comme une fouine. Comme les trente autres « A jusqu'à F », je suis à poil, debout sur une ligne jaune peint sur le sol bétonné d'un couloir-dépôt poussiéreux. Vérification de ma bouche, de mes oreilles, de mes aisselles, de mon cul. Finalement, sans même un regard, les collabos hargneux me fourguent des habits dépareillés.
Je sors hébété en épouvantail. Péniblement je progresse dans l'univers de l'ombre, à pied, sur mes bras pliés une couverture, un linge et quelques pauvres affaires de toilette.
Couloirs interminables entres minables, puis cellule de transit. A six nous sommes enfermés dans sept mètres carrés jamais lavés. La chiotte est bouchée. Une cuvette en plastique contient une sorte de pâte brune. Stupeur, il s'agit du souper, de notre souper ! Cette fois, j'en ai l'appétit coupé. Aujourd'hui, je ne mangerai rien.
Dégoûté, je monte sur le troisième lit, celui du haut. Je m'installe sur les draps à moitié dépliés. Je regarde les autres. Quatre sous-prolétaires, et un fou. Il se croit assiégé par des forces de police, et installe un tabouret contre la porte. Son imagination malade élève une barricade ! L'enfer pourrait être comme cela. Enfermé lucide au milieu de cinglés, de geignards, de puants. Pour l'éternité !
Une nuit infernale. Le fou pousse les trois premiers lits superposés – avec les dormeurs – contre la porte, puis les trois autres contre la fenêtre grillagée. Crissements de ferraille griffant le carrelage. En réponse, le fou parle aux murs. Prudemment, je tiens une fourchette dans ma main droite crispée sur le manche. Elle me servira d'arme, à tout hasard, contre ce forcené qui m'apparaît dangereux. J'ai perdu ma gentillesse naturelle et devient féroce. S'il m'attaque, je lui plante l'ustensile dans les yeux. Finalement, il se couche dans l'autre colonne de lits, tout en haut, en face de moi, à un mètre environ. Espace de sécurité dérisoire. Seul le vide nous sépare, mais il pourrait me sauter dessus. J'assure ma fourchette. Pendant une heure, il se tourne, maugrée, proteste. Puis, subitement, il perd l'équilibre et va s'écraser deux mètres plus bas, le dos sur la cuvette des WC. Personne ne bouge. On a tous envie qu'il crève. L'administration nous rend inhumains. Finalement, il parvient à remonter et, sur son matelas, ne bouge presque plus. Souffrance du corps salutaire qui remet l'esprit en place. Rassuré et sans compassion, je m'endors enfin.
Sept heures du matin. Déjeuner. Une phrase me réveille.
‑ Si vous le laissez encore cinq minutes ici, je le tue, avertit méchamment un habitué des taules.
Le maton discute avec lui. Le fou se voit évacué séance tenante en psychiatrie. Deux heures plus tard, un autre gardien nous ordonne de sortir.
‑ On s'aligne contre la paroi. Jetez vos cigarettes. Pas de discussion. En avant.
Tout cela, il l'a gueulé comme un automate. Sa voix résonne dans l'énorme couloir central de plus de cent mètres de long, nef de cathédrale carcérale, fenêtres à barreaux transformés en vitraux odieux. Frôlant les murs, notre colonne avance en silence, à la suite d'un capo en bleu, avec une casquette et un sifflet.
Nouveau voyage dans les entrailles des égouts sociaux. Longs couloirs parcouru médusé, escaliers raides, des centaines de portes dépassées. Le maton s'arrête brusquement. Un coup de pied dans le verrou du bas. Un mouvement brusque pour le verrou du haut. Un coup de clé. Entrée en cellule. Deux paires d'yeux me regardent.
‑ Salut.
‑ Salut, salut.
‑ Quel matelas est libre ?
‑ Celui du haut, me répond le gars assis à la table.
J'en suis satisfait. Cette position me convient bien. La couchette du haut exige un peu de gymnastique, mais ce petit effort se voit récompensé. La lecture et un minimum d'intimité y sont possibles.
Je m'adapte assez bien à la vie
cellulaire. Un intellectuel, S'il peut lire, se trouve bien partout, peut-être
même chez Satan, si la bibliothèque est bonne. Pour décrire Fresnes, il
faudrait des centaines de pages, et je n'en ferais pas le tour. Je résumerai
donc. Ce chancre social n'est pas à l'honneur de
Les visites se passaient en sous-sol, dans une grande salle, divisée par des parois et des fenêtres en double plexiglas. Pour se faire comprendre, il faut gueuler comme un perdu.
Malgré les difficultés énormes, Claudia est venu aux parloirs dès qu'elle en reçut l'autorisation. Elle a montré un courage fantastique tout au long de ce long processus avilissant dont l'un des buts est l'élimination sociale des révoltés. L'Administration dégrade, peut-être sciemment, les contacts pour détruire insidieusement le souvenir de l'autre, compagne, famille, amis. Une rupture brusque apporterait la révolte de ceux qui restent dehors. La subtilité réside dans ce pourrissement planifié sournoisement par l'Administration. Le prisonnier finit par haïr l'autre, sans pouvoir identifier la véritable source de son malheur : le système carcéral. Je ne suis jamais tombé dans ce piège, et je conserve une haine intacte de tous les professionnels de la répression, flics, juges, matons. Des salopards bien placés. Je comprends les hommes qui leur tirent dessus.
A Fresnes, comme dans beaucoup d'autres prisons, il est interdit de se coucher pendant la journée. Sauf si l'on obtient du Service Médical un bon « Position couchée autorisée ». De plus, il est interdit à tout détenu de chanter, de siffler, de crier, de participer à des discussions politiques ou d'ordre religieux.
Après toutes ces interdictions, un peu d'air. La promenade se passe dans des sortes de fosses grillagées. Des matons circulent sur des passerelles au-dessus et nous surveillent sans conviction mais avec morgue. De là-haut, ces sous-développés se croient supérieurs. On nous sort de nos cellules pour nous reboucler dans d'autres lieux grillagés. Dans ces trous bétonnés, j'ai tout juste mon mètre carré d'espace vital, au milieu d'une faune d'une cinquantaine d'individus. Pour parvenir aux « cours », nous déambulons devant les cellules des travestis. Au passage, pour nous provoquer ou nous aguicher, ils nous montrent leurs miches dénudées, parfois plus grosses que les vraies.
‑ Alors, mon chéri, quand c'est que tu me mets ? me lance une blonde au regard langoureux.
Étrange ambiance : Femmes-hommes ou Hommes-femmes derrière des barreaux, prêts aux orgies les plus vicieuses. Troublante, cette vision de travestis roulant leur langue la bouche ouverte, soulevant leurs habits.
On entre en prison en général pour un seul comportement décrété illégal. On en ressort expert, du moins théoriquement, avec plusieurs dizaines de vices virtuels.
Question sexe, je vais décevoir et rétablir une vérité. La plupart des prisonniers continuent à rêver des femmes, et des vraies, en prison. Leurs anatomies dénudées couvrent les murs, chaque fois que cela est possible, malgré les interdictions. C'est l'Administration qui cherche à nous transformer en pédé ( par exemple, en fournissant pour tous les prisonniers des capotes, alors que l'amour avec la gent féminine est interdit ! ).
Dans mon cas, elle n'a pas réussi.
Je vais paraître peu croyable, attardé. Un détenu qui n'en glisse pas une paire de temps en temps à son camarade de cellule, c'est contraire à toutes les idées reçues. Puisque je suis au trou, on pourrait supposer que je pourrais tout de même en profiter pour tâter un peu des plaisirs de Sodome. Histoire de vérifier les théories « psy » concernant le refoulement de la chose. On ne sait jamais. Que j'y prenne goût, que je m'inscrive à la confrérie de la jaquette, ça m'ouvrirait toutes grandes les portes de la gloire.
Mes écrits sur la prison manqueront peut-être de profondeur ténébreuse, mais c'est comme ça. Je ne veux pas tourner le dos à ce problème, mais je ne peux tout de même pas descendre mon pantalon pour conforter le lecteur ayant cette sorte de préjugé.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même, n'est-ce pas ? Ce fut le cas. Peut-être suis-je victime d'une malformation quelconque, d'un petit ennui glandulaire ? Je me promets un supplément de divan pour approfondir ma culture en la matière.
En trois mois, j'en ai vu défiler. De toutes les sortes. Des maquereaux soucieux du pli de leurs pantalons et du brillant de leurs bijoux. Des cloches vifs à piquer les mégots. Des escrocs bavardeurs impénitents et mythomanes. Des noirs qui gesticulent. Des blancs dépressifs suicidaires. Des tatoués au regard fou. Des jaunes souriant bouddhiquement. Toutes les races, toutes les nationalités, des tarés aux génies du crime, tout ce beau monde se côtoie dans ce pandémonium crasseux.
Un Dimanche. Trois matons ouvrent brusquement la porte. Ils contrôlent nos identités. Je crois rêver.
‑ Cellule 372, troisième division. Bloch, écrou 704643, nom du père ? nom de la mère ? âge ?
Ainsi de suite. Puis, sortir de la cellule, se faire enfermer dans une autre, sans aucun mobilier. Fouille. Deux heures plus tard, retour. Livres, lits, tout est chambardé. Haine.
Penser à Claudia, aux parents, aux amis, cela m'empêche d'égorger un de ces salopards.
Pour se calmer, Ali, un compagnon de cellule, propose du café. Les matons, pourtant super-tordus, n'ont pas trouvé sa chauffe ‑ une boîte à cirage, de l'huile comme carburant, un bout de lacet comme mèche. Ce réchaud de fortune s'avère bien agréable. Ali affirme qu'il se vengera, et il espère bien en faire crever quelques-uns, de ces ratons, qu'il supporte depuis trois ans déjà.
Paroles, paroles. Ceux qui aboient ne mordent pas.
PRISONS DE FRESNES
CONSIGNES PERMANENTES AUXQUELLES CHAQUE DETENU EST ASTRElNT
1°) AU RÉVEIL : Refaire son lit.
Plier les draps et les couvertures.
2°) APRÈS
Sortir les ordures devant la porte de la cellule.
Laver le sol de la cellule.
Maintenir constamment les WC en parfait état de propreté.
Les détenus auxquels un bon « Position couchée autorisée » aura été délivré par le Service Médical pourront rester dans leur lit tout ou partie de la journée. Cependant, ils ne pourront s'allonger sur leur lit qu'après avoir rempli les diverses obligations d'entretien de la cellule.
Le pyjama remis à chaque détenu ne doit pas servir de vêtement ou de sous-vêtements dans la journée. Dès 8h, les détenus devront être revêtus de la tenue pénale ou de leurs vêtements personnels.
Ils pourront revêtir le pyjama dès 19 heures.
Il est toléré que les détenus s'allongent sur leur lit de 12h à 14h. (draps et couvertures pliés), mais il sont tenus d'avoir une attitude correcte (vestimentaire notamment) et de se lever lors de l'entrée en cellule d'un membre du personnel.
3°) Il EST INTERDIT À TOUT DÉTENU
‑ de jeter quoi que ce soit à l'extérieur de la cellule,
‑ de chanter, de siffler, de crier,
‑ de suspendre du linge au dehors,
‑ de se livrer au trafic,
‑ de participer à des discussions politiques ou d'ordre religieux,
‑ de stocker des denrées alimentaires ou autres produits dans la cellule au-delà des besoins normaux entre deux distributions de cantine, de coller du papier, des photos, d'écrire ou de dessiner sur les murs de la cellule ou sur les placards. Il est rappelé en outre que :
‑ le silence est obligatoire au cours des défilés ou mouvements,
‑ chaque détenu a le devoir de s'exprimer correctement lorsqu'il s'adresse à un membre du personnel.
Précédent – Suivant – Table des matières
[X1] Trouver une photo de la prison.