UNIVERSITE DE NEUCHATEL
Institut de sociologie
et de science politique
Mémoire présenté pour l'obtention de la licence en sciences sociales, option sociologie
Analyse sociologique et hominisation
1.1. Hypothèse sur une "naissance" ou : vous
qui entrez ici abandonnez toute certitude !
1.5. Analyse du processus de l'hominisation
1.6. Explication biologique orthodoxe de l'hominisation
1.7. De l'instinct à l'intelligence
1.8. Approche sociologique de l'hominisation
1.10. Communication gestuelle ou vocale
2.1. Extrapolation dans le passé
2.2. Modèle hypothétique d'évolution du langage humain
2.3. Diversité des langages humains, essai d'explication
3.2. Pictogrammes et protoécriture
3.5. L'écriture : origine biologique ou sociologique ?
3.6. Interprétation psycho-sociologique de l'invention de
l'écriture
3.9. Les écritures latines, extensions passées et
récentes
3.10. Imprimerie et ordinateurs
3.11. Diffusion par "stimulation"
3.12. Certains novateurs de l'écriture se réfèrent au
divin
3.13. Quelques aspects et fonctions psychologiques de
l'écriture
3.14. Langage et écriture : source et moyen de la double
programmation du comportement humain
4.1. Qu'est-ce que la culture ?
4.2. Notre définition opératoire
Dynamique de l'information vitale
4.6. Culture - nature : convergence ou continuité
4.7. Evolutions biologique et culturelle : exercice
d'analogie
4.8. Néoténies biologique et psychique
4.9. La crise de l'adolescence: paedomorphose psychique
4.10. Régénération physiologique
4.11. Régénération psychologique
4.12. Régénération sociologique
4.13. L'évolution différentielle de l'humanité
4.14. Comment expliquer cette évolution différentielle
4.15. La répression différentielle
4.16. L'évolution biologique de l'homme est-elle étouffée
par l'évolution culturelle ?
4.17. L'emprise de l'homme sur la nature
4.18. L'impuissance de l'homme sur l'évolution des
sociétés globales
Double programmation du comportement humain
1. Le concept de programmation
1.1. Programmation génétique du comportement
1.2. Programmations génétique et psycho-sociologique
1.3. Remarques complémentaires au sujet de la
programmation
1.4. Cerveau et ordinateur : essai d'analogie
1.5. Ontogenèse culturelle de l'homme civilisé
1.6 La double
programmation génétique et culturelle
2. Psychisme humain et double programmation
2.1. Psychisme humain et informatique
2.1. La psychanalyse et la double programmation
2.3. Ca freudien et la programmation psycho-génétique
2.4. Moi et programmation psycho-sociologique
2.5. Surmoi et programmation psycho-sociologique
2.6. Quelques problèmes dus à la double programmation
2.7. Culturogenèse et biogenèse : un lien possible
2.9. Impact du culturel sur le génétique : exemple
de la sexualité
2.10. Quelques exemples de programmation psycho-génétique
et psycho-sociologique
3. Double programmation et communication
3.1. Double programmation et communications
interculturelles
3.3. La double programmation et la communication mère -
nourisson
3.4. Culturogenèse du langage : l'ontogenèse reflète
la phylogenèse
4. Double programmation, contrôle social et liberté
humaine
4.1. Culturogenèse : le rôle des parents
4.2. Double programmation et contrôle social
4.3. Double programmation et liberté humaine
4.4. La liberté humaine et la programmation culturelle
Texte non imprimé dans le mémoire
COMMUNICATION PROGRAMME GENETIQUE - PROGRAMME CULTUREL
Ajouts à partir de 2008-03-10.
Approche mémétique et religion
(Déb-cit)()"Une fois, l'un de mes enfants était dans son parc (il était au stade sensori-moteur, c'est-à-dire avant tout langage) et je lui ai tendu un objet en le tenant à l'horizontale, de façon que, s'il se contentait de tirer à soi, les barreaux de son parc l'empêcheraient de passer. Il a essayé toutes sortes de positions et a fini par y arriver. Mais il y était arrivé par hasard et cela ne le satisfaisait pas. Il a ressorti l'objet du parc et s'est mis à chercher de nouveau, jusqu'à ce qu'il ait compris comment l'orienter pour qu'il passe à travers les barreaux. La réussite seule ne le satisfaisait pas : Il n'était content que quand il avait compris comment ça marchait."[1](Fin-cit)
Sous la direction conjointe de Messieurs Etudiant
ERARD Maurice, professeur de sociologie Daniel Bloch
QUELOZ Nicolas, assistant de sociologie Avril 1986
La première partie de ce mémoire de licence essaie, par un processus actif de relecture du passé humain, d'accommoder l'ancien au nouveau. Il s'agit en effet de relier l'apparition du langage et de l'écriture, processus essentiels dans l'émergence humaine, à l'évolution actuelle de l'humanité. En effet, notre approche sociologique nous montre que l'hominisation, loin d'être terminée, se poursuit aujourd'hui encore à un rythme extrêmement rapide.
Nous avons privilégié l'analyse du langage et de l'écriture. Ces deux productions humaines concernent directement chacun de nous, phylo- et onto-génétiquement. Bien entendu, nous n'oublions pas toute l'histoire des techniques humaines, culminant dans l'essor extraordinaire de la technologie "moderne". Cependant, il nous semble que le langage et l'écriture se trouvent au cœur du processus de l'hominisation, par leur aspect essentiellement communicationnel, et aussi parce que ces deux productions ont permis à l'homme d'extérioriser, puis de stocker en dehors de son propre corps, toute son expérience de vie. Ce fait est décisif et semble à l'origine de la double programmation du comportement humain.
En effet, l'être humain, contrairement aux autres êtres vivants, se trouve soumis d'une part, à la programmation génétique contenue dans ses cellules, et d'autre part, à la programmation culturelle, auto-sécrétée par les totalités humaines, dès l'origine de l'hominisation. Vouloir expliquer le comportement humain à la lumière d'une seule de ces programmations, soit exclusivement par les gènes comme certains théoriciens extrémistes de la sociobiologie, soit au contraire seulement par la culture, aboutit toujours à des impasses ou des insuffisances théoriques qui se répercutent malheureusement dans les diverses applications pratiques en découlant, comme l'éducation, la pédagogie, la psychiatrie, etc.
Lorsque nous parlons de programmation, nous prenons comme modèle "analogique", la programmation informatique, l'une des toutes dernières nouveautés au "hit-parade" de la production humaine culturelle. L'intérêt de l'informatique réside dans le fait que la déprogrammation ou reprogrammation y est possible. En effet, habituellement, dès que l'on parle de programmation du comportement humain, le lecteur frémit et pense aussitôt au déterminisme absolu qui semble logiquement en découler. Dans cette perspective, la notion de liberté disparaît si l'homme était effectivement définitivement programmé. Notre investigation de la double programmation du comportement humain va permettre de dégager précisément les aspects quasi définitifs de la programmation génétique, et ceux beaucoup plus souples et transitoires de la programmation culturelle. Cette dernière, au lieu d'être une entrave aux actions de l'individu, devient, à condition de la dépasser, le support même de la liberté humaine. La programmation culturelle nous apparaît donc comme un moyen d'action, dont le degré de liberté augmente avec le niveau de conscience individuel et collectif.
Au cours de ce XXe siècle, les biologistes ont progressivement dégagé la genèse, vieille de plus de trois milliards d'années, et les mécanismes du code génétique qui programme non seulement la construction physiologique des êtres vivants, mais aussi une grande partie de leurs comportements sous forme de tropismes ou d'instincts. Le code génétique se trouve stocké au cœur même de la matière vivante, formant le noyau de la cellule, unité fondamentale de tous les organismes vivant sur le globe terrestre. Les éthologistes ont étudié le comportement des animaux, puis des hommes, à la lumière du code génétique, et leurs découvertes sont extrêmement précieuses pour comprendre le pôle biologique du comportement humain.
D'un autre côté, le comportement de l'homme fut étudié particulièrement en situation sociale, excluant souvent complètement les facteurs génétiques. De nombreuses polémiques découlèrent naturellement de ces deux façons d'aborder le comportement humain, sous l'angle de la nature ou celui de la culture. On a fini par opposer ces deux notions, comme étant d'essence différente; mais dans notre perspective, la culture est la continuation de la nature par d'autres moyens, et elle forme ou construit un nouveau palier d'intégration du phénomène vivant. Si le code génétique nous est intérieur, les codes culturels, eux, nous sont, à nous individus, complètement extérieurs lorsque nous naissons. L'histoire de la culture, ou culturogenèse, nous rend perceptible l'affaiblissement progressif de la programmation comportementale génétique, qui se détache de chaque individu, pour aller se stocker d'abord dans les Nous (sous forme de traditions orales), puis dans les groupements (stade intermédiaire) et finalement dans les sociétés globales (lois écrites). Nous avons donc dû consacrer de nombreuses pages au processus de l'hominisation, dans cette perspective particulière de la continuation du génétique, programme inscrit en chacun de nous, par la culture, programme stocké à l'extérieur de chacun de nous, mais à l'intérieur d'une collectivité humaine. Finalement, la culture serait le code "génétique" des groupes humains. Le comportement de chaque individu humain se réfère donc à deux systèmes de programmation, qui se transmettent tous deux de générations en générations.
L'analyse des origines du code génétique sont du ressort des biologistes, et nous leur laissons le soin d'en parler. En revanche, les sociologues s'intéressent naturellement aux origines et divers développements de la culture humaine, concept "idéal" qui englobe l'ensemble réel des codes culturels programmant les comportements individuels et collectifs (traditions, coutumes, lois), ainsi que toute la masse d'informations diverses stockées par l'ensemble des hommes (bibliothèques, techniques, culture "matérielle"). Cette extériorité de la culture fit croire aux hommes que les lois, l'écriture, provenaient des dieux et ce n'est qu'au siècle dernier, grâce aux travaux des évolutionnistes notamment, que cette vision mythologique s'effondra dans les milieux scientifiques seulement. Il faut en effet remarquer que des centaines de millions d'hommes, voire des milliards, croient encore à l'essence divine des lois. L'étude de la genèse de l'écriture par exemple, nous semble utile pour dissiper les anciennes mythologies et appréhender dans son mouvement, la dynamique du développement de la culture. En effet, l'écriture se révèle un moyen privilégié d'analyse du développement humain depuis ses origines, signes esquissés dans la poussière du sol, grattés sur les os ou le bois, pétrifiés dans la pierre ou la terre cuite, jusqu'aux moyens actuels, qui incluent l'écriture magnétique ou au rayon laser dans les vidéo-disques, supports les plus récents et d'une performance inouïe. Quelques dizaines de ces vidéo-disques permettront de stocker l'intégralité de la culture humaine écrite. L'effort énorme, consentit actuellement par les totalités humaines en mouvement, de stockage et de concentration de toute l'information humaine, est en passe d'aboutir à la création d'une société globale planétaire, qui ne sera plus alors un concept idéal et utopique, mais une concentration réelle d'information culturelle, comparable à la concentration de l'information biologique dans le noyau d'ADN. Nous remarquons ici un phénomène de convergence entre la production biologique et la production sociale qui renforce encore notre hypothèse : la culture est la continuation du génétique par d'autres moyens, avec cependant des degrés de liberté et de créativité toujours plus considérables.
note de
service
Mon
mémoire de licence se veut un travail préparatoire de mon doctorat. Il esquisse
donc simplement les thèmes principaux qui seront mieux dégagés dans le travail
final.
OUTIL
THEORIQUE : PLAN DE SOCIOLOGIE
La base
théorique est la sociologie pluraliste, et le plan de sociologie de M. Erard. C'est
un essai d'appréhender la réalité humaine, et l'une de ses manifestations
particulières, 1° l'évolution culturelle, 2° tester l'hypothèse que les
déviants représentent le fer de lance de l'évolution humaine, au travers du
plan.
EMPIRIQUE :
MATIERE D'OBSERVATION : QUELQUES CAS VECUS DE DEVIANCE
Quelques
exemples : Socrate ( ) - Jésus Christ ( ) - Galilée ( ) - Semmelweis ( ) -
Bavaud ( ) - Bombard ( ) - etc..
HYPOTHESE
DE TRAVAIL :
Première
hypothèse :
L'évolution
humaine se nourrit principalement de la déviance de certains individus
"privilégiés", qui se font d'ailleurs systématiquement dénigrés,
pourchassés, très souvent massacrés, et des siècles plus tard, ils sont
encensés, leur biographie est magnifiée, expurgée, et ils deviennent des
modèles à suivre.
Deuxième
hypothèse :
L'extrême
amplitude de la déviance humaine provient de la double programmation génétique
et culturelle, du comportement humain. Nous réfutons les hypothèses qui
prétendent que l'homme est le produit d'une erreur génétique, expliquant ainsi
les soubresauts de l'histoire de l'humanité.
"Nous étions préparés à tout admettre sauf d'avoir débuté par les pieds"
A. Leroi-Gourhan
"Quiconque essaye de raconter l'évolution de l'Homme, et surtout cette histoire de "l'Homme avant l'Homme" qui seule peut donner la clef de nos origines, se trouve obligé, à un certain moment, de laisser le cours du récit se diviser en bras multiples. Il a pu jusque là évoquer de grandes étapes, les tendances évolutives. Maintenant, le temps est venu de s'attaquer au problème central : la séparation d'avec les animaux, l'isolement du groupe destiné à produire plus tard l'Humanité : qui, quand, pourquoi, comment ? C'est le cœur du sujet en effet et le nœud de la difficulté." (Sciences & Avenir, n° 31, pp. 25-26).
L'hominisation se prête-t-elle à une analyse sociologique ? Nous le pensons, et notre opinion se trouve confortée par la définition que donne Comte (1825, p. 150) de la "physique sociale" : "j'entends par physique sociale la science qui a pour objet propre l'étude des phénomènes sociaux, considérés dans le même esprit que les phénomènes astronomiques, physiques, chimiques et physiologiques, c'est-à-dire comme assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte est le but spécial de ses recherches. Ainsi, elle se propose directement d'expliquer, avec le plus de précision possible, le grand phénomène du développement de l'espèce humaine, envisagée dans toutes ses parties essentielles... L'esprit de cette science consiste surtout à voir, dans l'étude approfondie du passé, la véritable explication du présent et la manifestation générale de l'avenir." Le développement de l'espèce humaine est l'essence même du processus de l'hominisation, qui est loin d'être terminé. L'étude approfondie du passé, au moyen des outils conceptuels forgés par la sociologie, semble donc non seulement justifiée, mais des plus nécessaires, pour sortir une fois de plus l'esprit humain empêtré dans les nouveaux dogmatismes modernes.
Mais comment appréhender l'hominisation, phénomène actuel qui touche chacun de nous dans notre être le plus profond, et qui pourtant perdure déjà depuis plusieurs millions d'années. En effet, pour tout homme, l'hominisation est actuelle à deux points de vue.
Premièrement, dans notre "ontogenèse culturelle" (processus d'acculturation aboutissant à notre personnalité de base individuelle), chacun de nous, individuellement, a franchi les diverses étapes de la phylogenèse culturelle des hominiens. En tant que "petit de l'homme", nous commençons par apprendre à parler avec notre mère, à faire l'apprentissage de la propreté, à marcher sur nos deux pieds, à écrire, à utiliser les divers machines et véhicules, et finalement à utiliser les ordinateurs, l'actuel dernier-né des outils conçus et fabriqués par le génie humain, utilisés pour prolonger et amplifier non point la force musculaire mais les aptitudes mentales.
Deuxièmement, le processus de l'hominisation ne semble pas terminé, et l'on peut même défendre l'idée que l'Homme recèle plus de futur que de passé.
Il nous semble possible, voire même souhaitable, d'utiliser une méthodologie sociologique, pour saisir la dynamique du processus de l'hominisation. M. Erard (Cours, 1*) nous rappelle "comment Comte conçoit la méthode propre de la sociologie, la "méthode historique" selon lui, caractérisée par la mise en lumière de lois d'évolution, ou plutôt de la succession de tendances antagonistes, de deux "séries sociales" emboîtées, l'une exprimant la décroissance d'une tendance, la seconde la croissance d'une autre qui lui est antithétique... Ces transformations s'opèrent donc par destruction de l'ancien et formation du nouveau". Dans le processus de l'hominisation, nous pouvons effectivement observer la décroissance de l'emprise biologique sur "l'animal humain" et la croissance de l'emprise culturelle sur "l'être humain". Dans cette perspective, toute tentative de donner un point de départ précis, et par un ou deux critères seulement, à l'émergence humaine, relève de la mythologie et non de la science.
Avant d'aborder l'analyse proprement dite du phénomène de l'hominisation, il nous semble encore nécessaire de rappeler la célèbre loi des trois états de Comte : "l'esprit humain, par sa nature, passe successivement, dans toutes les directions où il s'exerce, par trois états théoriques différents : l'état théologique, l'état métaphysique et l'état positif. Le premier est provisoire, le second transitoire, et le troisième définitif". (COMTE, 1825, p. 146). Si nous acceptons la formulation de Comte, nous mettons cependant en doute l'aspect définitif de l'état scientifique, qui sera certainement dépassé par un état post-scientifique dont nous ignorons encore tout. Nous pouvons simplement remarquer que les explications scientifiques commencent elles-aussi à s'essouffler devant l'immensité du réel. De plus, la loi des trois état semble applicable à l'espèce comme à l'individu : "L'éducation de l'individu, en tant qu'elle est spontanée, présente nécessairement les mêmes phases principales que celles de l'espèce, et réciproquement." (COMTE, 1825, p. 138).
Au niveau de l'espèce, les explications de l'hominisation n'échappent point à la loi des trois états définie par Comte.
C'est l'état théologique des théories de l'hominisation:
Les premières conceptions de l'origine des hommes sont de type "créationniste". A un certain moment précis, il y eut création des hommes par les dieux ou Dieu. Ces conceptions ignoraient jusqu'à l'idée d'évolution. "Les croyances des peuples primitifs et la plupart des dogmes religieux reposent sur la conception d'un monde essentiellement statique, inchangé depuis sa création, celle-ci étant d'ailleurs considérée comme relativement récente. Au XVIIe siècle, l'évêque Ussher avait calculé la date de la création du monde; le résultat qu'il obtint, 4004 années avant Jésus-Christ, n'était ridicule à l'époque que par l'excès de sa précision : les seuls témoignages accessibles à l'époque étaient les documents écrits et à tradition orale". (L'EVOLUTION, 1980, p. 6). Dans cette étape de l'explication humaine de l'évolution, l'aspect prédominant est la fiction débordante.
Conception actuelle : état métaphysique ou abstrait des théories de l'hominisation.
Notre conception actuelle du monde est fondée sur la
certitude que l'Univers, les étoiles,
Ernst Mayer, l'auteur de l'extrait cité, réduit l'évolution du vivant aux lois ordinaires de la physique, car il prend comme base les mutations au hasard des gènes constitutifs du code génétique des cellules sexuelles, conception partagée par la majorité des biologistes de la "théorie synthétique" de l'évolution. Les conséquences ultimes de cette hypothèse des mutations au hasard, devenue progressivement un dogme, culmine dans les affirmations que "L'individu à lui seul n'est pas capable d'évolution; ce qui évolue, c'est la population ou l'espèce qui apparaît ainsi comme bien autre chose qu'une simple juxtaposition d'éléments indépendants". (L'EVOLUTION, 1980, p. 14). Appliquée à l'évolution culturelle, aux artistes et aux savants, la première partie de la phrase semble complètement absurde; de plus, il n'y a pas opposition radicale entre l'individu et l'espèce, mais rapport dialectique entre eux. Mayer tente cependant de tempérer le postulat génétique (ibidem, p. 15) : "La théorie de l'évolution ne se réduit pas à une "théorie moléculaire de l'évolution", comme le voudrait une définition décrivant l'évolution comme des "variations de fréquences des gènes dans les populations" : une telle définition réductionniste néglige les aspects tout à fait fondamentaux, comme la diversification et l'adaptation." Mais en dernière analyse, les théories "orthodoxes" actuelles de l'évolution biologique finissent toujours par invoquer des mutations génétiques au hasard et à n'accepter aucune influence du milieu sur les gènes. Ainsi "L'absence de toute finalité dans l'évolution biologique et la non- hérédité des caractères acquis permettent d'affirmer que l'évolution biologique de l'Homme ne peut être que le fait de la sélection naturelle" (ibidem, p. 16) des mutants génétiques humains. Pour maintenir cette "abstraction" conceptuelle, il a fallu imposer dans l'imaginaire collectif des hommes du XXe siècle la séquence bien connue du quadrupède qui devient progressivement bipède, alors que de simples observations montrent que le phylum des primates fut quadrumane.
En réalité donc, l'évolution morphologique de l'homme ne va pas du quadrupède au bipède, mais du quadrumane* au bipède (et bi-mane!). Nous insistons sur cette description, non par souci de purisme sémantique, mais parce que le mythe de l'émergence humaine à partir de la position bipède qui libère la main et le cerveau, en fait, "ne tient pas debout". A ce stade des théories de l'hominisation, nous constatons une prédominance encore nettement perceptible de l'imagination sur l'observation, attitude d'ailleurs prévue par Comte.
Il correspond à la démythification des théories de l'hominisation.
Nous n'y sommes point, et notre travail n'y prétend pas. En revanche, il se veut une démythification des théories actuelles de l'hominisation, dans un esprit dialectique, au sens de Gurvitch. Notre approche sociologique n'exclut ni n'intègre les autres approches des différentes sciences biologiques, anthropologiques, psychologiques. En revanche, elle prend en considération leurs recherches comme matériaux pour son niveau spécifique d'intégration des connaissances humaines, qui correspond au palier irréductible du sociologique.
* Définition du Petit Larousse Illustré 1984 : quadrumane adj. et nom. Qui a quatre mains : les singes sont quadrumanes; et dans le Larousse en 3 volumes : Se dit des vertébrés qui grimpent à l'aide de quatre pattes préhensiles, en particulier des singes, par opposition à l'homme.
Nous devons aux naturalistes et aux philosophes du XVIIIe et du XIXe siècles la "dilatation" du passé de quelques milliers à plusieurs millions d'années. Cette nouvelle perception de la temporalité permit d'envisager l'abandon du créationnisme au profit de l'évolutionnisme, et par conséquent de percevoir aussi la possibilité d'un processus évolutif pour l'Homme lui-même.
Dès lors, l'émergence de l'Homme, ou "hominisation", résulte d'une double évolution des structures anatomiques et des structures psychiques. Ces deux processus s'échelonnent pour l'essentiel sur les quatre derniers millions d'années. On placera l'évolution anatomique en premier et l'évolution psychique en second, ou l'inverse selon les écoles, les sensibilités, les approches. Une chose est cependant certaine : le comportement humain ne provient pas d'une création spontanée, il est le résultat, actuel et non fini, d'un très long processus psychosociologique. L'hominisation, elle-même, poursuit dans le phylum spécialisé des primates, une évolution biologique plus générale qui plonge ses racines jusqu'à "l'origine de la vie", que la science actuelle situe à plus de 3,5 milliards d'années.
Nous trouvons une floraison d'idées pour "expliquer" l'émergence humaine. Certains avancent l'hypothèse des mutations génétiques, d'autres tiennent compte de l'évolution de l'environnement et de celle des groupes sociaux. L'hypothèse d'un phylum de primates, évoluant de l'activité de cueillette à l'activité de la chasse, semble très séduisante (MORRIS, 1968, chap. Origines). Certains pensent même, avec d'excellents arguments d'ailleurs, que le phylum de primates à l'origine de l'hominisation, aurait passé par un stade aquatique, comme les mammifères marins, tels que les hippopotames, par exemple, qui retournent progressivement dans la niche environnementale aquatique. Cette hypothèse expliquerait la perte de pilosité, notre nez très spécifique par rapport aux autres primates, le fait que les nouveaux-nés savent instinctivement nager, et encore bien d'autres points. (cf. HARDY Alister et MORGAN Elaine).
Cependant toutes ces explications nous semblent fragiles par leur aspect "linéaire et ponctuel". En effet, bien d'autres animaux sont retournés à la mer, ou sont devenus des carnassiers, ont adopté la bipédie, possèdent des mains, sans pour autant devenir des Hommes. On ne peut donc expliquer l'émergence humaine en prenant uniquement comme point d'appui une ou plusieurs mutations fortuites ponctuelles, ou le changement de niche écologique par un groupe de primates particulier. Nous verrons plus loin que seule une méthode qui prend en compte un ensemble important de facteurs, en rapport dialectique les uns avec les autres, peut "expliquer" globalement l'émergence humaine. Dans l'état actuel de la science, le terme "expliquer" nous semble encore présomptueux, et il faudrait plutôt admettre que dans sa recherche de ses origines l'Homme balbutie toujours et tente encore de "s'expliquer" sa présence au monde.
Mutations génétiques, provoquant la bipédie et l'augmentation spectaculaire du cerveau.
Pour expliquer l'hominisation, les biologistes actuels (particulièrement les néodarwiniens, tenants de la théorie dite "synthétique") proposent habituellement l'hypothèse suivante : l'hominisation est la conséquence de mutations génétiques provenant d'erreurs "heureuses" dans le processus de réplication du code génétique. Cette théorie des "erreurs" ou mutations au hasard, malgré l'arsenal de la génétique moderne, est relativement ancienne. En effet, Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, gentilhomme breton qui naquit à Saint-Malo en 1698 fut le premier à formuler clairement des idées transformistes. Dans son "Système de la nature", écrit en latin sous le pseudonyme de Baumann et édité en Allemagne, on peut lire : "XLV. Ne pourrait-on pas expliquer par là comment de deux seuls individus la multiplication des espèces les plus dissemblables aurait pu s'ensuivre? Elles n'auraient dû leur première origine qu'à quelques productions fortuites, dans lesquelles les parties élémentaires n'auraient pas retenu l'ordre qu'elles tenaient dans les animaux pères et mères: chaque degré d'erreur aurait fait une nouvelle espèce: et à force d'écarts répétés serait venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd'hui; qui s'accroîtra peut-être avec le temps, mais à laquelle peut-être la suite des siècles n'apporte que des accroissements insensibles." (cité par OSTOYA, 1951). Maupertuis fut combattu par Voltaire, qui le ridiculisa sous le nom de "Docteur Akakia" (1751).
Cette conception théorique basée sur des erreurs génétiques entraîne, encore actuellement, de nombreux chercheurs dans une sorte de quête du Graal du fameux "chaînon manquant", qui fit - selon les évolutionnistes orthodoxes - du singe un homme pensant. Cependant, aucune science n'a pu, jusqu'à présent, ni définir d'une façon satisfaisante cette "mutation", ni trouver le fameux "chaînon manquant" reliant les primates sub- humains à l'homme.
Habituellement on retient trois traits physiologiques, que
l'on considère comme étroitement liés, pour différencier les hominiens des
autres primates. Il s'agit de la station debout, du développement de
l'encéphale, et de la libération du membre antérieur. Ruffié (in MORIN, t1,
1974, pp. 126-128) remarque que "La station debout constitue la première
caractéristique humaine. Les hominiens sont les seuls primates présentant une
station debout permanente avec deux paires de membres hautement différenciés :
les inférieurs (postérieurs) pour la locomotion, les supérieurs (antérieurs)
pour la préhension de toutes sortes d'activités... Par ailleurs, chez
"l'animal vertical", le crâne n'est plus appendu à l'extrémité
antérieure de l'animal, ce qui limitait sa mobilité et son accroissement éventuel".
Ruffié lie logiquement le développement du cerveau à la station verticale,
libérant aussi la main pour les gestes volontaires les plus complexes. Les
points mentionnés par Ruffié sont très importants, mais s'ils permettent
l'hominisation ils ne la provoquent point, car avant l'homme, d'autres animaux
ont adopté une station "debout" qui libère complètement les membres
antérieurs (par exemple, le plus grand carnivore de tous les temps, le
tyrannosaurus,
L'argument de la "position debout permanente" ne résiste pas à l'analyse, car les hommes ne fabriquent pas, artisanalement, leurs objets en position debout, mais presque toujours en position assise, dans l'immobilité du reste du corps et non pas en marchant. Comme exception, nous pouvons cité les Indiennes des Andes qui sont capables de parcourir des dizaines de kilomètres en marchant, portant une charge et un enfant, tout en étant capable de filer la laine avec une sorte de toupie. Mais il est quasiment certains que tous les outils et armes de pierre des premiers hommes furent fabriqués non pas en position verticale, mais dans une position assise bien plus agréable, que l'on peut encore observer chez les "primitifs actuels".
De plus, la main d'un singe supérieur est presque aussi "évoluée" que celle d'un être humain; elle lui permet aussi d'utiliser des outils primitifs.
Par conséquent, prendre pour point de départ de l'hominisation la station debout et la libération de la main en interaction avec le cerveau nous semble erroné.
Devant cet insuccès chronique des théories biologiques pour expliquer l'émergence humaine, et qui risque de perdurer, il nous semble légitime de proposer une hypothèse sociologique, capable de mieux décrire et expliquer le phénomène de l'hominisation. Avant d'aborder l'approche sociologique, il nous faut encore analyser le passage de l'instinct à l'intelligence, et constater que dans ce domaine, l'homme n'a pas encore compris cette évolution, qui dans une certaine mesure d'ailleurs, pourrait expliquer l'hominisation elle-même.
"Actuellement, on définit l'instinct comme un comportement, inné et spécifique, accompli sans apprentissage préalable et en toute perfection. Sa réalisation normale dépend des conditions du milieu extérieur et de l'état physiologique de l'exécutant (...) L'instinct fait partie intégrale du patrimoine de l'espèce; il est inscrit dans le génotype à l'égal de tous les autres caractères héréditaires (...) Dans la conduite instinctive, chaque acte a son déterminisme propre, immédiat; l'exécutant ne possède nullement la conscience du résultat de ses actes; seul le cours des actes composant un complexe paraît "finalisé". (GRASSE, 1963, pp. 249-250, 274-275, 282-283). L'intelligence, au contraire de l'instinct, ne se trouve pas inscrite dans le génotype; l'exécutant "intelligent" possède la conscience du résultat de ses actes et aussi une très grande adaptabilité à des problèmes nouveaux, inédits. L'intelligence caractérise "normalement" les divers comportements humains, mais bien souvent encore, l'homme agit irrationnellement (ERARD, 1984, pp. 37-110). Il vaudrait donc mieux dire que l'homme est en marche vers un comportement intelligent.
"Piaget a donné une définition globale de la croissance de l'intellect sous forme d'un modèle d'adaptation biologique. Il voit en l'intelligence un système ouvert qui s'étend dans le milieu ambiant pour saisir des connaissances, mais qui tend aussi à refermer ses structures afin d'intégrer en lui-même des éléments d'organisation déjà présents. C'est donc une progression évolutive qui oscille entre l'ouverture (transformation de structures déjà présentes en réaction au milieu) et la fermeture (intégration d'éléments du milieu dans des structures déjà établies), réalisant ainsi un équilibre homéostatique... Piaget a nommé ce processus : équilibration. Cet état d'équilibre est atteint à travers des processus complémentaires d'assimilation et d'accommodation. L'assimilation suppose l'intégration de faits nouveaux à des structures cognitives préexistantes. L'accommodation suppose la transformation par réaction au milieu d'une structure déjà existante. Ainsi, le développement intellectuel est-il conçu comme résolution des tensions entre assimilation et accommodation. C'est donc un processus actif, organisé, qui consiste à assimiler le nouveau à l'ancien et à accommoder l'ancien au nouveau." (PIAGET, 1977, p. 122).
Le problème du passage de l'instinct à l'intelligence n'a pas encore reçu de solutions satisfaisantes (et nous n'avons pas la prétention d'en donner une solution ici, mais nous désirons simplement mentionner quelques hypothèses actuelles sur ce sujet). Piaget rappelle : "A cet égard, le lamarckisme a voulu voir dans les instincts une intelligence qui se serait stabilisée héréditairement (par hérédité de l'acquis), tandis que d'autres auteurs, suivis par la plupart des néo-darwiniens, ont insisté sur les oppositions soi-disant de nature entre le caractère rigide et aveugle, mais infaillible, du premier et les propriétés d'intentionnalité consciente, de souplesse, mais aussi de faillibilité de la seconde... Mais si les instincts constituent ainsi une sorte de pré-intellignece organique et héréditairement programmée, il reste à rappeler que le recours à l'hérédité ne fait que reculer les problèmes de genèse et ne les tranche en rien, tant que les questions de variations et d'évolution n'auront pas été suffisamment résolues par la biologie. Or on se trouve encore en pleine crise à cet égard. Tandis que Lamarck croyait à l'hérédité de l'acquis et voyait donc dans l'action du milieu l'origine des caractères innés, le néo-darwinisme des débuts de ce siècle (encore bien vivant chez un grand nombre d'auteurs et jusqu'au sein de la théorie dite "synthétique") considérait les variations héréditaires comme se produisant sans aucune relation avec le milieu, celui-ci n'intervenant qu'après coup en sélectionnant les plus favorables à la survie. Aujourd'hui par contre ce modèle de simples hasards et sélections apparaît de plus en plus comme insuffisant et tend à être remplacé par des modèles circulaires... Il existerait donc un ensemble de circuits entre les variations internes (en particulier les recombinaisons) et le milieu, ce qui permet à Waddington d'invoquer une "assimilation génétique" sous cette forme non lamarckienne mais dépassant par ailleurs les modèles simplistes du néo-darwinisme. On voit ainsi que, sur le terrain de la biogenèse des structures cognitives, le recours à l'hérédité revient tout d'abord à déplacer les problèmes de genèse quant aux rapports respectifs de l'organisation interne et du milieu, mais semble à nouveau nous orienter vers les solutions d'inter-action" (Piaget, 1972, pp. 68-71).
Mais qu'est-ce qui fait "disparaître" les instincts chez l'homme ? On arrive ici dans un cercle vicieux : puisque la culture représente des instincts sublimés, comment des instincts pourraient-ils faire disparaître d'autres instincts ? C'est ici que nous devons bien remarquer la subtilité du phénomène vivant: en réalité, les instincts ne disparaissent pas, mais au lieu d'être inscrits dans le patrimoine génétique de l'homme, ils sont progressivement transférés dans le patrimoine culturel de l'homme! Freud en a découvert le mécanisme: la sublimation. En effet, tous les instincts "animaux" se retrouvent progressivement dans la culture humaine. Non seulement les instincts sociaux d'origine animale, qui permettent, selon la définition de Freud, "de régler les rapports des hommes entre eux", mais aussi toutes les techniques qui donnent au vivant la possibilité d'utiliser l'Energie sous ses formes solaire, électrique, atomique, véritable adaptation culturelle de l'instinct de survie. L'homme transcrit à l'extérieur du vivant la technologie de tout le biologique. Dans cette perspective, l'homme serait le scribe du vivant. Avant lui, chaque forme animale se spécialisait dans une "niche écologique" assez restreinte et "transcrivait", dans son code génétique, de génération en génération, ses expériences vécues dans le domaine spécifique de son activité. L'espèce humaine est en voie d'investiguer tous les milieux, toutes les technologies, toutes les découvertes du vivant, depuis les techniques virales jusqu'aux techniques des animaux supérieurs; elle s'intéresse même aux connaissances non vitales, comme la fission, la fusion, etc. Mais au lieu d'inscrire ses découvertes dans son code génétique, l'espèce humaine les transcrit sur des supports extérieurs au vivant. Ce transfert informationnel progressif, de la programmation instinctuelle, d'origine génétique, à la programmation culturelle, d'origine sociale semble spécifique à l'homme. Cependant, certains auteurs perspicaces ont déjà remarqué que "progressivement, à partir des relations directes primitives avec l'environnement, va émerger une possibilité d'objectiver cet environnement avec effet corrélatif d'en désadapter le sujet. Par exemple, on peut observer la diminution du sens de l'orientation au fur et à mesure que les sensations et actions pures de l'animal cèdent le pas à une connaissance de ses actes" (BRIL, 1973, p. 72). On constate ainsi que la prise de conscience de ses actes affaiblit leur programmation instinctive au profit d'un comportement intelligent, soumis à l'influence de la programmation culturelle. Si le phénomène de l'apparition de la conscience échappe encore à notre compréhension, il est tout de même utile de constater que la prise de conscience, ou connaissance de ses actes, est probablement l'un des mécanismes qui permet le passage de l'instinct à l'intelligence.
L'émergence humaine peut être considérée comme un phénomène, non pas exclusivement, mais principalement sociologique, de très longue temporalité. En effet, l'hominisation ne résulte point d'une action exclusive du milieu, ni d'une préformation génétique à base de pure innéité, mais d'auto-régulations en interactions dialectiques avec leur propre fonctionnement en circuits et leur propre tendance intrinsèque à l'équilibration. Dans cette perspective sociologique, l'hominisation ne peut être expliquée ni à partir de l'évolution des structures anatomiques, ni de celle des structures psychiques, ni même de leurs évolutions parallèles. Les débats de primauté, les schémas mettant l'accent sur la bipédie ou la fabrication d'objets, perdent de leur importance lorsque l'on envisage l'hominisation, qui en réalité n'a pas d'origine ponctuelle précise, comme un mouvement dialectique entre les structures psycho-anatomiques et psycho-sociales aux niveaux individuel et collectif.
Le fonctionnement d'un groupe humain est spécialement caractérisé par des systèmes d'autorégulation (dont le contrôle social ou les réglementations sociales sont des exemples), mais aussi par des conduites novatrices, exceptionnellement fréquentes en comparaison des autres espèces animales. Nous sommes donc en présence d'une réalité mouvante que l'on ne peut guère saisir ponctuellement. C'est ici, précisément, que certains procédés opératoires de la sociologie se révèlent particulièrement précieux et efficaces pour comprendre l'émergence humaine: "Dans les sciences de l'homme, le besoin de la méthode dialectique est tout particulière ment intense puisqu'elle correspond au mouvement de la réalité même qu'il s'agit de suivre et de poursuivre. Or cette méthode y démolirait les conceptions "institution nelles" et les "conceptions culturalistes", l'opposition du statique et du dynamique, le structuralisme axiomatique se séparant de ce fait des phénomènes sociaux totaux en marche, le formalisme et l'historicisme isolés l'un de l'autre, et ainsi de suite. En bref, la méthode dialectique est un appel au renversement perpétuel des "systèmes" en faveur de l'approfondissement toujours renouvelé des problèmes" (Gurvitch, 1962, p. 236). Ainsi, dès l'origine, l'hominisation est un effort collectif constant de communications et d'actes "sociaux" des primates sub-humains, organisés en Nous, en groupes, pour s'orienter dans le monde, pour s'adapter aux obstacles, pour les vaincre, pour se modifier et modifier leur entourage. Par leur praxis à la fois collective et individuelle, incluant des productions matérielles, la production d’œuvres de civilisation, les primates sub-humains sont à l'origine de la production des hommes, des collectivités et des structures sociales et, "En tant que mouvement réel, la dialectique est la voie (dia) prise par les totalités humaines en train de se faire et de se défaire, dans l'engendrement réciproque de leurs ensembles et leurs parties, de leurs actes et de leurs oeuvres, ainsi que dans la lutte que ces totalités mènent contre les obstacles internes et externes qu'elles rencontrent sur leur chemin" (Gurvitch, 1962, p. 233).
Gurvitch définit particulièrement cinq procédés opératoires par lesquels se manifeste la méthode dialectique. M. Erard (Cours, 2*) affine les concepts gurvitchiens en procédés dialectiques opératoires élémentaires et complexes et précise : "Les rapports dialectiques permettent donc une première saisie des relations existant entre les phénomènes". Ces procédés nous semblent d'excellents outils conceptuels pour appréhender, mais non pas expliquer, les processus de l'hominisation, dont l'implication mutuelle. "Ce second procédé de la méthode dialectique consiste à retrouver dans les éléments ou termes à première vue hétérogènes ou contraires, des secteurs pour ainsi dire sécants, qui se recoupent, se contiennent, s'interpénètrent à un certain degré, ou sont partiellement immanents les uns aux autres. Il est par exemple impossible de préciser le rapport entre la vie psychique et la vie sociale, ou plus exactement le rapport entre les phénomènes psychiques totaux et les phénomènes sociaux totaux, sans recourir à l'éclairage dialectique de l'implication mutuelle. Car il y a du psychique dans le social, et il y a du social dans le psychique" (Gurvitch, 1962, p. 257).
L'approche dialectique des théories de l'hominisation nous a permis d'en dépasser les conceptions dogmatiques qui voulaient réduire l'apparition de l'humain à des erreurs génétiques provoquant la bipédie, et par contre coup une libération providentielle de la main (qui existait déjà bien avant car en fait, la bipédie a vu l'apparition du pied et non pas de la main); le cerveau, lui aussi victime d'erreurs de réplications génétiques, augmenta progressivement de volume.
Selon cette conception, la convergence de toutes ces erreurs génétiques a ainsi abouti au schéma suivant (in MORIN, t1, 1974, p. 129), dans lequel "on peut retenir que la station debout est le caractère fondamental qui conditionne les deux autres" :
Libération de la main Station Développement
debout du cerveau
Apprentissage
Ayant éliminé la bipédie et la libération de la main comme seuls éléments explicatifs de l'émergence humaine, nous éviterons de proposer un nouvel organe, ou une autre interaction physiologique comme point de départ hypothétique de l'hominisation. Donner une origine à l'hominisation relève plus d'une construction mythologique humaine que d'une réalité bio- ou sociologique.
Malgré cette position théorique, nous pouvons tout de même privilégier un axe d'analyse pour saisir le processus de l'émergence humaine, à savoir l'axe communicationnel. Mais nous insistons : l'hominisation ne procède ni du geste, ni du verbe, mais de leur interaction avec les autres facteurs, analysés par les diverses approches non dialectiques que nous avons mentionnées ci-dessus.
Notre conception sociologique de l'hominisation nous conduit donc à analyser surtout la communication entre les individus sub-humains. En effet, l'auto-régulation d'un groupe d'individus nécessite le passage d'informations entre ses divers membres. Nous-autres, "hommes actuels", utilisons un nombre impressionnant de moyens de communications; dans notre petite enfance, nous commençons tous à communiquer par des cris et des gestes. La pratique "sociale", embryonnaire certes, de communication sub-humaine "préconsciente", semble l'un des facteurs les plus importants de l'hominisation, qui passe bien avant la bipédie, l'habileté manuelle due aux proportions de la main humaine, avec son grand pouce opposable aux autres doigts, et même l'utilisation d'outils. En effet, sur ces trois points, les grands singes, comme les chimpanzés, sont encore très proches de nous : ils se servent de bâtons pour bluffer et attaquer, farfouiller, taquiner et explorer; ils utilisent des brindilles et des brins d'herbe pour attraper des termites et des fourmis. Ils prennent des feuilles pour se nettoyer, des cailloux pour casser des noix et lancent également des pierres avec une assez bonne précision. Cependant, leurs communications sociales, pourtant très intenses, utilisent essentiellement le canal de la gestualité et non point celui d'une vocalisation élaborée.
En revanche, l'appareil de vocalisation humain apparaît beaucoup plus différencié que celui des singes supérieurs, incapables de parler un langage vocal humain, mais qui peuvent efficacement utiliser leurs mains dans des langages gestuels semblables à ceux qui ont été développés pour les sourds-muets. Il nous semble donc qu'une des premières clefs pour comprendre l'émergence humaine se trouve dans la praxis de création de langages gestuels et vocaux par les totalités sub-humaines; c'est probablement cette pression sociologique d'utilisation de l'appareil vocal pour émettre consciemment des sons articulés qui est à l'origine de sa transformation progressive et celle, bien plus importante encore, du cerveau, qui a augmenté en taille et probablement aussi en complexité. Nous précisons encore que la pression sociologique d'utilisation de l'appareil vocal n'est pas une création spontanée des totalités humaines, mais provient probablement d'essais réussis d'adaptation à des changements écologiques (désertifications, glaciations), provoquant des changements d'habitudes, notamment dans l'alimentation. De frugivores, les ancêtres de l'homme devinrent partiellement carnivores : "Ainsi apparaît notre singe nu, vertical, chasseur, manieur d'armes, territorial, néotène, cérébral, primate par ses origines, carnivore d'adoption, et prêt à conquérir le monde. Mais il représente, dans le processus de l'évolution, un phénomène très neuf, un prototype, et les nouveaux modèles ont souvent des imperfections. Pour lui, les principaux inconvénients naîtront de la disparité entre ses étonnants progrès dans le domaine culturel et son développement génétique beaucoup plus lent. Ses gènes resteront à la traîne et viendront constamment lui rappeler que, malgré ce qu'il a pu faire pour modeler son environnement, il reste tout de même un singe nu" (MORRIS, 1968, p. 51).
L'alimentation carnivore suppose, de la part du phylum préhominien, l'apprentissage de la chasse, et par conséquent du meurtre, soit des autres animaux, soit, dans le cannibalisme, des individus de sa propre espèce. Cet apprentissage du meurtre a dû avoir un impact important sur le psychisme des préhominiens; le volume de leur cerveau permettait probablement une prise de conscience partielle et épisodique du problème de la mort individuelle. Il fallait donc impérativement trouver une réponse à l'impasse psychique qui découle automatiquement de la prise de conscience de sa propre mort. En effet, "Puisque, de toutes les situations mystérieuses, bouleversantes, et difficiles avec lesquelles l'homme s'est trouvé aux prises à travers les âges, la mort semble avoir été la plus troublante et la plus terrible, il n'est guère surprenant que les toutes premières traces de croyance religieuse se concentrent autour du culte des morts" (JAMES, 1959, p. 13). Nous pensons que l'apprentissage du meurtre, la création progressive d'un langage, l'élaboration de croyances et de rites religieux concernant surtout le problème de la survie, sont en rapports dialectiques et participent activement à l'émergence humaine. Mircéa Eliade (1980, t1, p. 15) confirme ce point de vue : "l'homme est le produit final d'une décision prise "aux commencements du Temps": celle de tuer pour pouvoir vivre. En effet, les hominiens ont réussi à dépasser leurs "ancêtres" en devenant carnivores. Pendant quelques deux millions d'années, les Paléanthropiens ont vécu de la chasse; les fruits, les racines, les mollusques, etc., récoltés par les femmes et les enfants, étaient insuffisants pour assurer la survie de l'espèce. La chasse a déterminé la division du travail selon le sexe, en renforçant de cette manière l'"hominisation"; car chez les carnassiers, et dans tout le monde animal, une telle différence n'existe pas.
Mais l'incessante poursuite et la mise à mort du gibier ont fini par créer un système de rapport sui generis entre le chasseur et les animaux massacrés... la "solidarité mystique" entre le chasseur et ses victimes est révélée par l'acte même de tuer; En dernière instance, la "solidarité mystique" avec le gibier dévoile la parenté entre les sociétés humaines et le monde animal. Abattre la bête chassée ou, plus tard, l'animal domestiqué, équivaut à un "sacrifice" dans lequel les victimes sont interchangeables. Précisons que toutes ces conceptions se sont constituées pendant les dernières phases du processus d'"hominisation". Elles sont encore actives, - modifiées, revalorisées, camouflées, - des millénaires après la disparition des civilisations paléolitihiques."
Il semble donc assez probable que la communication humaine fut aussi utilisée pour combattre l'angoisse de la mort, révélée par la nouvelle activité de la chasse. On pourrait ainsi comprendre, entre autres, pourquoi l'activité sacerdotale fut longtemps le monopole des hommes, puisqu'ils s'étaient spécialisés dans le meurtre, et qu'il leur fallait alors se rassurer. Encore actuellement, une grande partie de la communication humaine et des recherches scientifiques sont consacrés à la résolution du problème de la mort. Il se pourrait même que l'exceptionnelle évolution de la technologie soit en réalité surtout une réponse inconsciente à l'angoisse de la mort.
La communication d'informations par les rites ne semble pas être une spécialité exclusivement humaine, ainsi "sir Julian Huxley découvrait que, dans le monde animal, la communication entre congénères, autrement dit, d'un point de vue objectif, l'interaction de leur comportement social, s'effectuait à partir de comportements moteurs qui prenaient d'emblée aux yeux de l'observateur profane l'aspect de symboles. Le grèbe huppé courtise sa femelle en ramassant au fond des marécages du matériel de nidification avec lequel il effectue au beau milieu de l'eau les mouvements correspondant à la construction du nid. En langage humain, cela voudrait dire : "Viens, nous allons construire un nid ensemble!"
Une foule d'observations et d'expériences ont permis de montrer que les mouvements en questions servaient effectivement à la communication, c'est-à-dire que le congénère les comprenait et y répondait de façon intelligible... Tout système de communication comprend nécessairement un émetteur et un récepteur. Au signal émis doit donc correspondre, côté récepteur, un corrélat qui l'identifie sélectivement et lui répond. Ainsi que le montre l'étude comparative, au cours de l'évolution phylogénétique, les systèmes de communication se sont le plus souvent développés à partir de la réaction adéquate à un certain comportement moteur, c'est-à-dire à la "compréhension" de ce comportement, avant même de se transformer en véritables symboles." (LORENZ, 1981, pp. 187-188). Une analyse soigneuse de la ritualisation phylogénétique (programmée par le code génétique) et de la ritualisation culturelle (programmée par le code culturel) montre un si grand nombre de similitudes que l'on peut conclure que des causes différentes peuvent produire les mêmes effets : à savoir un échange communicationnel. On peut encore ajouter que le rituel humain est plus proche de l'instinctif, dans son fonctionnement rigide, peu adaptatif et difficilement évolutif, que du culturel : il est un comportement intermédiaire.
Ainsi, "A l'aube des temps archaïques il n'y avait pas de
différence entre un geste profane et un rite sacré puisque le domaine profane
n'existait pas... Toute occupation était rituelle. Nous-mêmes, hommes d'aujour
d'hui, quand nous inclinons la tête avec déférence, quand nous tendons la main
avec courtoisie, nous répétons un rite anciennement sacré devenu profane, un
symbole devenu simple usage, mais qu'il nous serait souvent dangereux pour
notre sécurité, ou simplement pour notre réputation, de ne pas accomplir. Comme
le disait un texte confucéen, les rites permettaient d'unir les volontés, de
diriger les actions, d'harmoniser les âmes et d'aboutir à un équilibre général
des forces aussi bien physiques que sociales... Dans
Il est intéressant de remarquer la concurrence, ou la complémentarité, entre les expressions gestuelle et verbale, notamment chez les méditerranéens. Encore actuellement, cette concurrence se poursuit. Probablement, le geste et la parole furent utilisés, d'un manière consciente, en même temps. Puis, il semble que la parole s'imposa, notamment dans les cultures orales, pour transmettre les légendes, les coutumes, c'est-à-dire la mémoire collective du groupe. Puis le geste revint en force par l'écriture (qui concrètement est la trace matérialisée d'un geste), avec le prolongement de l'imprimerie et des ordinateurs à clavier. Cependant, la parole risque de prendre sa revanche, car les techniciens mettent au point actuellement des ordinateurs et des robots qui obéiront à la voix ! Par cette dynamique de la communication, on peut remarquer que le processus de l'hominisation est en plein développement, et qu'il est arbitraire et insuffisant de choisir la voix ou le geste comme origine de l'homme. Actuellement encore, la communication humaine hésite dans le choix de ses supports : ainsi, l'invention du téléphone, des enregistreurs à cassettes, permettent la communication vocale, tandis que l'invention des transmissions postales, puis des ordinateurs et des modems, support actuel de la télématique, privilégient l'écriture, fille naturelle du geste. Habituellement, on relie la fabrication et l'utilisation d'outils avec l'augmentation de la taille du cerveau. Les renseignements qui proviennent des données archéologiques vont effectivement dans ce sens. Malheureusement, pour les mêmes périodes, nous ignorons tout du développement du langage (pôle collectif ; sociologique) que nous supposons être, en interaction avec le cerveau (pôle individuel : génétique), à l'origine de l'augmentation, tant de la masse cérébrale que du nombre d'outils. En effet, sans ce mode remarquablement efficace de communication, le progrès des techniques aurait été forcément lent et limité. Grâce à ce système ouvert de communication, un changement rapide fut possible et les systèmes sociaux purent croître en complexité.
Même l'analyse des aires corticales réservées aux mains ou aux organes de la phonation, ne permettent aucun choix raisonnable dans le problème de la primauté de la parole ou du geste :
Les régions somato-sensorielles et motrices
(Pour
Nous pouvons donc proposer l'hypothèse suivante : Le
processus de l'hominisation s'est renforcé principalement par la production des
communications gestuelle et surtout vocale consciente et, secondairement, par
la fabrication consciente d'objets (Il est intéressant de citer
Pour conclure ce court aperçu concernant les problèmes de l'hominisation, nous rejoignons finalement Ruffié (in MORIN, t1, 1974, p. 130) : "Ainsi, au palier humain, la pression sélective va jouer, non plus comme précédemment, selon les normes purement physiques (force musculaire, résistance à la fatigue, agilité à la course, etc.), mais selon les composantes psychiques (faculté de mémorisation, précision du raisonnement, rapidité de la décision et perfection dans l'exécution). A partir d'un certain seuil, ce n'est plus uniquement sur l'individu pris isolément mais sur le groupe tout entier que s'exerce la sélection (efficacité de la structure, aptitude à l'adaptation des cadres sociaux, possibilité de diffusion et d'exploitation de la connaissance, etc.). C'est le développement de la composante psychique de l'homme qui crée le milieu humain. Ce développement est permis par une nouvelle organisation biologique. Celle-ci ne le porte pas en elle, mais elle le permet." Nous nous permettons une dernière remarque : le développement psychique se construit en rapport dialectique avec le milieu humain, il ne le crée pas; ici, à nouveau, Ruffié ignore le palier d'intégration sociologique.
Les théories biologiques seules semblent nettement insuffisantes pour expliquer l'émergence humaine. Elles-mêmes déclarent d'ailleurs forfait lorsqu'il s'agit d'expliquer l'explosion de l'évolution culturelle. En effet, les biologistes doivent admettre qu'ils ne découvrent aucun changement génétique pour expliquer l'apparition de l'agriculture, de l'industrie, des écritures, de l'informatique... Alors pourquoi recourir à la génétique pour expliquer l'apparition des autres qualités que nous qualifions d'humaines, comme la production consciente du langage articulé ou des outils. Notre approche sociologique propose désormais d'en faire l'économie.
Figure 1
Le phylum humain des Australopithèques à nos jours
Figure 2
Schéma sociologique hypothétique de l'hominisation
CERVEAU
Appareil vocal Oreilles Yeux Mains
production de sons production de gestes
d'artefacts (outil, armes)
progressivement conscientisés au cours de la
COMMUNICATION-ECHANGE
début de la début de la
CULTURE ORALE CULTURE ECRITE
Nous
Groupements
Apparition d'une mémoire collective
début de la
CULTURE MATERIELLE
Le schéma ci-dessus est organisé d'une façon systémique et non pas hiérarchique ment. Les flèches sont parfois à double-sens, ou à sens unique, selon les flux d'informations. Par exemple, le cerveau informe l'appareil vocal, mais le retour d'informations doit se faire par l'intermédiaire des oreilles. Dans le cas des mains, le cerveau informe les doigts, mais en retour, la perception tactile informe directement en retour le cerveau.
Figure 3
Schéma sociologique de "l'hominisation" de l'enfant
CERVEAU
Appareil vocal Oreilles Yeux Mains
productions verbales individuelles productions gestuelles individuelles
langage audition lecture écriture
COMMUNICATION
apprentissage
mythes, légendes rites, objets
productions collectives productions collectives
CULTURE ORALE CULTURE ECRITE
Mère
Nous
Groupements
Société globale
CULTURE MATERIELLE
* On peut interpréter cette pression d'origine sociologique soit comme une pression "sélective", conception néodarwinienne, ou soit comme une "assimilation génétique" des pressions du milieu externe, ici le groupe sub-humain; cette boucle rétroactive entre l'appareil vocal et le cerveau est équivalente à la boucle main - cerveau de la théorie synthétique. Les groupes sub-humains ont certainement subi eux-mêmes une pression environnementale, soit passive provenant des glaciations ou des désertifications, soit active d'explorations extra-forestières, entraînant des activités de chasse notamment.
"Aujourd'hui les linguistes ont abandonné la prétention des savants du XIXe siècle qui étaient à la recherche de la langue primitive. Tout ce qu'on l'on peut dire sur l'apparition de la parole n'est qu'hypothèse basée sur une reconstitution psychologique en confrontation avec les plus anciens états des langues dont on a pu dater l'âge par la nouvelle glotto-chronologie.
Les linguistes anglo-saxons ont supposé à la naissance des langues plusieurs sources possibles :
1) une source imitative (théorie du bow-wow) pour laquelle le langage est issu d'onomatopées qui imitaient les bruits ou cris naturels;
2) une source émotive (théorie du pooh-pooh), pour laquelle le langage s'est progressivement formé à partir des sons spontanément expressifs, associés à des sentiments définis;
3) une source harmonique (théorie du ding-dong), suivant laquelle la langue évoquerait une corrélation symbolique entre un son et son impact impressionniste;
4) une source sociale (théorie du yo-he-yo), pour laquelle la langue est née des chants ou chœurs accompagnant l'effort musculaire et rythmant les gestes collectifs de nos ancêtres au travail.
D'autres théories font appel au développement du premier babil enfantin, au chant spontané sans autre raison que l'affirmation d'une présence... Aucune de ces théories n'est d'ailleurs exclusive et il ne serait pas impossible de les réduire à une source commune. On peut en retenir l'apparition simultanée de l'homme et de la parole..." (BENOIST, 1977, p. 21).
Les quelques remarques biologiques, linguistiques et sociologiques concernant le fonctionnement du cerveau, particulièrement dans la dimension du langage, nous permettent, malgré tout, une timide tentative de "reconstruire" le passé.
Nous donnons ici un cours aperçu de quelques théories de l'apparition du langage, dans le seul but de montrer que dans ce domaine spécifique, nous sommes plongés dans l'hypothétique le plus complet. Jean ZIEGLER a repris les travaux de plusieurs linguistes pour essayer de donner une idée approximative de l'évolution du langage primaire.
"L'interdépendance entre l'évolution physiologique et le devenir social de l'homme peut être observée avec une précision particulièrement impressionnante à un tournant clé de l'histoire : l'apparition du langage" (ZIEGLER, 1969, p. 25). Mais "ni les généticiens ni les anthropologues n'ont à leur disposition l'appareil vocal de l'homme d'Oldoway (DB: homo habilis, un des premiers primates hominisés). Autrement dit : lorsque les hommes et les femmes de science raisonnent sur l'évolution probable du langage ils travaillent la plupart du temps par voie d'extrapolation" (ZIEGLER, 1969, pp. 36-37). Cependant, l'évidence accumulée jusqu'à ce jour permet d'accorder un haut degré de probabilité aux affirmations des divers anthropologues, dont une des premières démarches fut de fixer la démarcation entre l'appareil vocal humain et l'appareil vocal d'autres primates moins développés, qui ne semblent émettre que des sons instinctifs, c'est-à-dire des signaux fixes comme l'annonce d'un danger. Ils sont provoqués par des réflexes qui génèrent des complexes d'excitation agissant directement sur l'individu.
Le langage humain est une production consciente de l'homme en situation sociale. "La construction du langage articulé proprement dit est pour chaque groupe une aventure imprévisible, d'une difficulté et d'une complexité très grandes. Les problèmes posés par la nécessité d'établir une relation différente entre les notions particulières dans chaque cas - problèmes qui dans leur ensemble résument l'aventure syntagmatique - ont été résolus de façons diverses par les groupes humains. La façon plus ou moins rigoureuse, plus ou moins imaginative et énergique avec laquelle les groupes se sont attaqués à la tâche est responsable non seule ment de la multiplicité des langues coexistant actuelle ment sur notre planète, mais encore de la plus ou moins grande force opératoire de chacune d'elles (ZIEGLER, 1969, p. 43).
"Une première période linguistique identifiable recouvre les millénaires qui vont du cri animal/signal instinctuel des primates subhumains aux cris/appels de l'Archanthrope. De là le trajet évolutionnaire progresse vers les mots-propositions et les pré-concepts du chelléen pour enfin aboutir avec les représentations plus différenciées, des pré-concepts plus nombreux et des mots-propositions polysématiques de l'homme mous térien à la conquête du langage primaire. Une dernière remarque : la délimitation des différentes étapes du devenir linguistique de l'homme reste forcément du domaine de l'extrapolation. Car - encore une fois - la recherche n'a à sa disposition l'appareil vocal ni d'un archanthrope, ni d'un chelléen, ni d'un moustérien. Toutefois, l'extrapolation est une méthode scientifique reconnue et opératoire. A condition que l'on sache et que l'on dise à partir de quel état de fait on extrapole. Ici les démonstrations archéologiques et paléoanthropologiques paraissent concluantes : leur parallélisme rigoureux (avec les exceptions indiquées) permettent de conclure à une interdépendance entre l'évolution anatomophysiologique de l'homme et la genèse de ses premiers concepts" (ZIEGLER, 1969, pp. 54-55).
Schéma résumant les étapes du langage primaire
"Malgré les objections qui ont été formulées et qui sont formulées aujourd'hui à son endroit par des chercheurs, nous reproduisons le tableau de Bounak, considérant - encore une fois - qu'il s'agit là d'un schème méthodologique qui pour la sociologie contemporaine revêt un intérêt considérable" (ZIEGLER, 1969, p. 55).
TABLEAU DE BOUNAK
() BOUNAK L. V., "L'origine du langage", in Actes du Colloque international du Centre national de la recherche scientifique sur les processus de l'hominisation, Paris 19-23 mai 1958; Actes publiés par le CNRS, p. 99 sq.
Stades du développement de la technique de la pensée et du
langage et leur correspondance (Tableau schématique) (ZIEGLER, 1969, pp.
56-57). (faire une photocopie)
()Latéralité :
"Le phénomène de la préférence manuelle ou latéralité
est l'une des manifestations les plus courantes de la dominance cérébrale, mais
aussi l'une des plus embarrassantes. plusieurs animaux possèdent une certaine
préférence manuelle; si un singe, par exemple, est appelé à réaliser une tâche
à l'aide d'une seule main, il le fera toujours avec la même. Dans n'importe
quelle grande communauté de singes, il y a cependant autant de gauchers que de
droitiers. Tel n'est pas le cas parmi les hommes dont neuf pour cent, tout au
plus, sont gauchers. Cette différence considérable en faveur de la dextralité
semble être une spécialisation exclusive du cerveau humain." (Pour
1. Sociologie cellulaire et langage
2. Sociologie animale et langage
3. Sociologie humaine et langage
"Il existe enfin un dernier rite, le plus important peut-être bien qu'il soit inhabituel de le considérer sous cet angle, c'est l'écriture. Elle est un symbole de la langue parlée qui est elle-même symbolique." (BENOIST, 1977, p. 101).
L'écriture est probablement l'une des plus importantes inventions humaines. Notre définition de l'écriture comporte tous les moyens d'expression matériels extérieurs au corps utilisés par l'homme, depuis les encoches gravées sur des os aux écritures magnétiques ou par rayons laser des ordinateurs actuels. Nous pourrions même considérer les enregistrements de voix humaines sur disques, cassettes, ou tout autre support, comme de nouvelles techniques d'écriture. Ainsi, la voix humaine se trouve magnétiquement transcrite, sans l'intermédiaire de la main, sur un support matériel. Nous aurions ici une "écriture-machine". Dans l'autre sens, cependant, l'appareil restitue la voix de l'homme, simulant une communication vocale différée utilisant la modulation de l'air ambiant comme support. Mais l'enregistrement de la voix permet surtout de stocker de l'information humaine en dehors de son corps. Ce point est crucial, car l'écriture permet à l'homme d'unir désormais l'étude des morts à celle des vivants. Cette extériorisation de l'information humaine provoque la création progressive d'un palier d'intégration culturel, enrichissant d'une nouvelle dimension la programmation génétique.
Dans notre analyse sociologique de l'hominisation, l'écriture prend une place très importante, et à plusieurs titres. Grâce à elle, nous pouvons recevoir des informations écrites par des hommes qui ont vécu il y a plusieurs milliers d'années. Le processus de l'hominisation nous devient ainsi beaucoup plus visible, au travers des innombrables essais faits par les hommes pour fixer et transmettre matériellement leurs pensées. Il ne s'agira donc pas ici d'une étude des problèmes techniques posés par l'invention et l'évolution de l'écriture, mais des problèmes relevant de la psychologie des peuples, de la sociologie et de l'histoire, qui peuvent, semble-t-il, recevoir quelque lumière d'une étude appropriée des origines, des transformations et des fonctions de l'écriture.
En effet, quelles sont les conditions sociales, les besoins intellectuels ou affectifs qui ont conduit les hommes à l'invention de l'écriture, puis à ses successives transformations. Il nous semble que la problématique de l'écriture (invention et évolution) est très proche de celle du langage humain. Comprendre le processus évolutif de l'écriture doit permettre une meilleure perception du processus évolutif du langage en particulier, et de l'hominisation en général, et : "Puisque les tracés individuels révèlent des particularités d'esprit de celui qui écrit, les tracés nationaux doivent permettre dans une certaine mesure de rechercher des particularités de l'esprit collectif des peuples". (COHEN, 1953). Une sociologie de l'écriture pourrait donc donner de nouvelles lumières sur les processus passés et présents de l'hominisation.
Pour alléger leur mémoire, nos ancêtres les "primitifs", utilisèrent depuis très longtemps déjà, un grand nombre de moyens, aussi rudimentaires que bâtons cochés, cordes à nœuds, divers objets symboliques. Conventionnellement, on a défini l'écriture comme d'abord faite de pictogrammes (dessins figuratifs), qui deviennent rapidement des idéogrammes (pictogrammes auxquels on attribue, par association d'idées, des valeurs supplémentaires abstraites): le pictogramme "étoile" devient un idéogramme lorsqu'il signifie également "dieu", "divin". Une étape capitale est franchie (vers 3000 av. J.-C.) lorsque les scribes de certains peuples ont l'idée d'employer parfois l'idéogramme comme signe phonétique, c'est-à-dire pour représenter un son, généralement celui de la première syllabe du nom de la figure dessinée.
Alfred Métraux observe que : "En règle générale, les pictographies ne recherchent pas l'effet esthétique et tendent visiblement à la simplification et à l'abréviation. Tout ce qui ne concourt pas à l'expression graphique de l'idée principale est à peine ébauché, sinon complètement négligé. C'est précisément à cause de cette économie que les éléments des pictographies se transforment rapidement en symboles...
Les pictographies peuvent représenter de véritables récits en images comparables à nos bandes illustrées. Elles évoquent alors les diverses phases d'une action, ses acteurs et même des aspects du cadre dans lequel ils se meuvent - rivières, montagnes, forêts. A ces dessins s'ajoutent parfois des éléments symboliques, indications abstraites se rapportant aux circonstances décrites. Par exemple dans un ensemble de petits tableaux relatant les péripéties d'une expédition, on suggérera la férocité et la ruse des combattants par les images d'un félin et d'un serpent. On identifiera parfois les principaux personnages par des signes distinctifs, tels que leur blason totémique ou l'animal dont il porte le nom. Nous avons là une première ébauche de phonétisme, puisque ces dernières images sont censées exprimer un nom ou une partie de nom propre. Ainsi, le chef Cheyenne qui s'appelle "Tortue-suivant-sa-femelle" sera représenté par un personnage surmonté de deux tortues. "Petit-homme" sera identifié à une silhouette d'enfant dessinée au-dessus de sa tête." (L'Ecriture, 1963, pp. 9-10).
Exemple d'une lettre pictographique
(L'Ecriture, 1963, photocopie page 10)
Au moyen de l'écriture "moderne", les qualités de férocité et de ruse, pour reprendre les exemples pictographiques ci-dessus, seront intégrées dans les personnages eux-mêmes, qui posséderont des yeux de fauves ou la froideur du serpent. On constate dès lors une constante : les hommes projettent dans le monde animalier, leurs propres caractéristiques psychologiques. Le cinéma utilise aussi abondamment, dans ses techniques de maquillage des visages notamment, l'accentuation des traits qui pourraient évoquer des animaux; mais ce sont les dessins animés qui vivifient avec le plus de force ces anciens moyens d'expression ancestraux, et fascinent littéralement les enfants actuels.
Nous donnons ici quelques renseignements sur les hiéroglyphes, car ils représentent une étape importante dans le processus d'apparition de l'écriture. Il s'agit ici d'un simple rappel historique. Nous analyserons plus en profondeur l'écriture cunéiforme, puis grecque sur tout, pour son importance particulière dans l'évolution de la civilisation occidentale.
"Les hiéroglyphes égyptiens forment une collection très
étendue de petites images, stylisées mais dessinées avec grand soin et, dans
l'ensemble, fort jolies. Ces signes ont pour modèles à peu près tout ce que
l'on pouvait trouver dans la vallée du Nil et aux abords de celle-ci, sous les
pharaons : décor naturel et paysage (y compris les données cosmiques et
notamment les astres), animaux, plantes et roches, hommes et dieux, objets
manufacturés de toutes sortes, bâtiments les plus variés. A ce titre ils
constituent, pour l'archéologue, l'historien ou l'ethnographe, une mine
d'informations très riche, dans l'ensemble facile à exploiter... et d'une
exceptionnelle valeur. Sous le Moyen-Empire égyptien (2160-1580 av. J.-C.) et
"En dépit des apparences, ce système n'est pas vrai ment compliqué; il repose en effet sur la connaissance et sur la mise en application d'un petit nombre de principes, hautement rationnels. L'écriture hiéroglyphique est donc celle d'un peuple remarquablement doué, au génie inventif, au pouvoir d'adaptation, au sens pratique duquel elle rend, indirectement, un juste hommage. Toutefois, on l'a dit également, les hiéroglyphes étaient très nombreux, leurs conditions d'emploi multiples. L'apprentissage et le maniement de ces signes exigeaient un double effort de mémoire et de réflexion. C'est pourquoi l'écriture égyptienne a été, dès l'origine, celle d'une élite. La qualifierons-nous, pour autant, d'aristocratique ? Ce serait aller trop loin, puisque l'élite qui l'employait n'était fondée ni sur la naissance, ni sur la richesse, mais sur l'intelligence et le caractère. La civilisation pharaonique, inspirée et dirigée par des rois de droit divin, qui étaient en même temps des rois-dieux, est l'oeuvre commune de citadins et de campagnards, d'hommes d'action et de penseurs, de riches et de pauvres mais avant tout, et l'une des premières dans l'histoire du monde, elle fut et demeurera une civilisation de Lettrés." (L'Ecriture, 1963, p. 71).
"L'écriture cunéiforme est le système graphique le plus
important qu'ait connu, pendant plus de trois millénaires, le Proche-Orient
ancien. Elle fut inventée en Basse-Mésopotamie par les Sumériens, vers 3500
avant notre ère et resta en usage jusqu'aux abords de l'ère chrétienne.
Héritiers des Sumériens, les Akkadiens - Assyriens et Babyloniens - en avaient
fait leur écriture nationale. Elle devint rapidement dans toute l'Asie
Antérieure, de l'Elam à
Qui dit écriture cunéiforme dit essentiellement tablette d'argile. C'est ce substrat matériel qui explique non seulement la forme que prirent par la suite les signes primitifs, mais aussi l'extraordinaire destin de cette écriture (p. 73).
L'un de ses mérites essentiels est d'avoir été probablement la première écriture employée par des hommes, sous une forme du moins aussi systématique. Aussi vient il immédiatement à l'esprit la question de savoir dans quelles conditions et pourquoi elle fut inventée." (L'Ecriture, 1963, p. 76).
Il faut ici mettre en parallèle l'invention de l'écriture et
l'invention du langage humain. Dans le cas de l'écriture, invoquer une mutation
génétique semblerait ridicule pour expliquer cette invention, car il est bien
clair que l'écriture procède de causes psycho-sociologiques. Dans le cas du
langage, cela est moins évident, car pour parler, une évolution morphologique,
notamment du larynx humain, est absolument nécessaire et ne peut résulter que
d'une évolution dans le code génétique lui-même. Cependant, on ignore tout des
changements qualitatifs du cerveau humain, surtout dans sa phase de
programmation lors de l'apprentissage du langage et de l'écriture. On peut
supposer légitimement, que le cerveau humain s'est lui aussi transformé, au
moins autant que le larynx, et qu'il poursuit actuellement son évolution,
quantitativement (il semblerait que son poids augmente au fil des générations),
et qualitativement. Ces transformations seraient dues à la pression
sociologique, probablement bien plus forte que la pression environnementale que
les animaux actuels doivent affronter. Donc contrairement à la croyance
actuelle d'une évolution biologique de l'homme en phase terminale, relayée par l'évolution
culturelle, nous pensons au contraire que jamais la pression évolutive sur le
biologique de l'homme ne fut aussi forte (nous verrons plus en détail ce point
au chapitre de l'évolution différentielle de l'humanité). Dans le livre
"Guiness des Records", (1982, p. 35), nous trouvons les
renseignements suivants sur l'évolution du cerveau: "Le cerveau humain
devient plus lourd. D'après les autopsies qui ont été pratiquées, on a pu
observer que le poids moyen des cerveaux d'homme est passé de
On peut donc admettre que les inventions de l'écriture, puis de l'école, ont transformé, et transforment encore, le cerveau humain comme le langage a transformé le larynx (les mécanismes biologiques importent peu ici).
"L'apparition de l'écriture coïncide avec l'introduction de nouvelles techniques, l'emploi du sceau notamment et de nouvelles formes d'architecture. Ces innovations suivirent, semble-t-il, une invasion de chefs de bandes, sumériens, qui s'imposèrent comme princes dans les villages. L'écriture n'apparaît pas pour autant dans toute la contrée, mais là seulement où ces princes furent assez puissants pour assurer leur domination sur plusieurs bourgades.
La constitution de petits Etats centralisés semble donc avoir pour le moins favorisé l'invention de l'écriture. L'augmentation et surtout la concentration des richesses exigeaient que l'on tînt à jour l'inventaire et que l'on gardât le souvenir exact des entrées ou des sorties de marchandises. L'économie de ces domaines étatisés était en effet complexe : multiplicité des tâches communautaires, travail par équipes, répartition de la main-d’œuvre, distribution des rations journalières, contrôle du personnel, des matières premières, du rendement, des animaux confiés et rendus. Une telle gestion devenait de plus en plus malaisée pour des fonctionnaires du palais ou du temple, ne disposant encore pour leur comptabilité que des ressources de leur seule mémoire et de l'aide rudimentaire des bâtons à encoches, des fils à perles ou des cordes à nœuds.
Il s'était créé un besoin nouveau, auquel l'invention de l'écriture devait apporter la solution désirée.
Est-ce à dire que ce besoin créa spontanément l'écriture ? C'est peu vraisemblable. Les conditions sociales étaient simplement réunies, pour en appeler et en favoriser l'éclosion. Sa véritable origine résulta probablement de deux ou trois remarques fortuites de quelque décorateur de pots, lorsque, en gravant par exemple un épi d'orge ou une tête de bœuf, il en vint à penser : "Cet épi d'orge me représente l'orge, cette tête de bœuf me représente un bœuf."
Cet effort d'abstraction et le dessin élémentaire, plus ou moins simplifié ou représentant la partie pour le tout - le pictogramme - est à la base de l'écriture cunéiforme. Les conditions sociales et les besoins économiques firent adopter le procédé. La "bureaucratie" en précisa et en généralisa l'emploi, en tant que "signal" ou "repère" sur un morceau d'argile qui pouvait être conservé ou transporté". (L'Ecriture, 1963, p. 77).
Cette explication des "origines" et de l'évolution de l'écriture nous semble des plus plausibles, car elle correspond au processus de l'invention et de la diffusion de l'imprimerie et à celui, très actuel, de l'invention de l'ordinateur et de la généralisation rapide de son emploi. Le langage, notamment la création progressive d'un vocabulaire et certaines règles grammaticales, dut certainement obéir aux mêmes lois d'apparition et de diffusion que l'écriture, l'imprimerie, l'ordinateur.
"Déclenchée par un souci de maniabilité et de précision plus grande, cette évolution est accélérée par la généralisation progressive de l'écriture. De l'économie, elle gagne successivement d'autres domaines : le notariat d'abord, vers 2600, pour des contrats de vente et d'achat, ou plus exactement d'échange; puis vers 2400, le domaine du droit, sous forme de jugements, de procès, de promulgation de lois, d'exposés de litiges. En même temps... apparaissent quelques dédicaces ou brèves inscriptions historiques. Le domaine religieux et proprement littéraire est le dernier que les scribes conquièrent sur la tradition orale." (L'Ecriture, 1963, p. 78).
Notre écriture "latine" dérive de la seconde écriture grecque, en passant probablement par les étrusques.
"Si l'on s'en rapporte aux Grecs et à la légende, cette écriture aurait été inventée par Cadmos, époux d'Harmonie, laquelle était fille d'Arès et d'Aphrodite. Il y a beaucoup de symboles dans cette légende, du reste mal fixée. Les savants, dès longtemps, ont fait table rase de tout cela. On admet communément l'origine phénicienne de l'écriture grecque. Certains prolongent cette origine jusque dans le milieu araméen...
L'alphabet grec, comme l'indique la grammaire, "est un alphabet phénicien dans lequel, innovation extrêmement importante, on a modifié la valeur de certaines lettres pour leur faire noter les voyelles"... Ce contact entre le grec et le phénicien se situerait vers les 900 avant J.-C..." (L'Ecriture, p. 168).
Nous soulignons à nouveau l'aspect non ponctuel de l'invention de l'écriture grecque, et au contraire de son caractère de processus évolutif, au sein de totalités humaines en mouvement et échanges.
"Donc vingt-quatre petits signes, depuis bientôt trois millénaires, ont servi à noter, sinon parfaitement, du moins d'une façon suffisante, la pensée la plus profonde et à la fois la plus subtile qu'ait connue l'humanité, celle dont est sortie notre civilisation occidentale.
Et c'est sur cette première constatation de caractère sociologique qu'il y a lieu d'insister. Dans cette merveilleuse invention de l'écriture, c'est l'écriture grecque qui occupe une place insigne... Par l'intermédiaire de l'alphabet latin et d'autres voies, il est au point de départ des alphabets du monde occidental, et il tend à se répandre dans le monde entier. Envers lui notre dette est lourde : nous lui devons ce que nous sommes sur le plan culturel...
On constate à l'origine une extrême divergence dans le tracé des lettres. Il n'y a pas, au point de départ, de tracé uniforme des signes alphabétiques." (p. 169).
"Que dire des montages, qui s'écartent souvent de la pose normale qui nous est familière ? Il ne s'agit pas seulement du fait d'écrire en commençant par la droite, trait commun à beaucoup d'écritures autres que l'écriture grecque.
Le montage le plus caractéristique est le boustrophédon, qui comporte un va-et-vient dans un sens puis dans l'autre, à la manière des bœufs qui, arrivés au bout du sillon, reviennent sur leurs pas. Cette pratique comporte du reste des variantes, suivant que l'écriture est renversée ou ne l'est pas. Il y a aussi le montage plinthédon (qui peut s'inscrire sur le côté d'une brique), le speirédon, ou écriture en spirale, le kionédon, ou écriture en colonne. Le montage le plus caractéristique est le stoichédon (ou écriture carroyée), graphisme élégant entre tous, où les caractères sont alignés horizontalement et verticalement." (p. 171).
Nous voyons que l'invention humaine connaît les mêmes avatars que "l'invention" biologique. L'écriture grecque a essayé tous les sens d'écriture, avant que l'un d'entre eux, celui de gauche à droite, l'ait définitivement emporté. Mais dans d'autres cultures, différents sens furent préférés. De plus, "il a manqué aux Grecs, jusque vers le milieu du IVe siècle, une matière à écrire usuelle, peu coûteuse et accessible à tous. En un mot, le grec n'avait pas de papier." (p. 174).
"Ici intervient un problème nouveau, éminemment important du point de vue de nos recherches. C'est un peu avant le début de l'époque alexandrine, soit vers la première moitié du IIIe siècle avant J.-C., que naît le livre. On veut dire par là le livre employé comme élément usuel, comme quelque chose qui pénètre dans la vie et devient indispensable. Cela est lié aux conséquences des conquêtes d'Alexandre, au développement de la culture générale, à l'ouverture des grandes écoles de philologie, tel le Musée d'Alexandrie. Vers cette date nous entrons dans un cycle qui informe notre vie à tous: l'ère du livre. C'est à partir de cette époque que le problème de l'écriture se confond en partie avec le problème du livre." (p. 176). Dans le cadre de ce travail, nous ne pouvons qu'évoquer les divers conflits autour du papyrus et du parchemin, du volumen et du codex (pour plus de précisions sur ces sujets, voir L'Ecriture, p. 177).
"L'écriture grecque, source de toutes les écritures utilisées dans le monde occidental, a été par là même un des éléments les plus importants de la vie culturelle de l'humanité. Son histoire, bientôt trois fois millénaire, s'infléchit suivant tous les courants de l'histoire proprement dite : elle est liée à la vie. Si imparfaite qu'elle ait pu paraître à son origine, les éléments rationnels que comporta son évolution, les qualités toujours renouvelées qu'elle présentait sur le plan esthétique, son extrême lisibilité enfin ont fait de l'écriture grecque un instrument admirable confié à l'humanité." (L'Ecriture, p. 179).
"L'écriture étrusque et l'écriture latine sont issues, la première directement, la seconde indirectement, de l'écriture hellénique... les processus d'emprunt de l'alphabet en Etrurie et à Rome sont des faits de civilisation de grande importance qui soulèvent des problèmes dont les uns sont encore ouverts, les autres déjà résolus" (L'Ecriture, p. 183). La première inscription latine connue date des environs de l'an 600 avant J.-C. L'emprunt de l'alphabet latin est donc antérieur à cette date.
"Naturellement, grâce à la fortune singulière de Rome,
l'alphabet latin aura un destin inconnu de ses frères. Il comprend à l'origine
20 lettres, car il a emprunté aux alphabets étrusques archaïques les consonnes
sonores B et D, la voyelle O dont l'étrusque va se débarrasser, mais dont lui a
le plus vif besoin. Le G est créé, nous l'avons vu, au IIIe siècle avant J.-C.
Auparavant, sans doute au VIe siècle, la spirante sourde F, qui était jusque-là
notée par VH, perd son deuxième élément, l'ancien digamma garde sa forme
première, mais prend la valeur f qu'il n'a plus ensuite perdue. A la fin de
L'évolution que nous avons suivie rapidement et qui a abouti à l'écriture latine de l'époque classique est due, nous le savons, à des actes de réformes, voulus, réfléchis et qui sont issus de groupes professionnels de scribes. La durée de cette période d'adaptation s'explique ici encore par la force de la tradition, en matière d'écriture. Ajoutons à cela que l'écriture, connue à Rome depuis le VII siècle, n'a été utilisée qu'assez rarement jusqu'au IIIe siècle avant J.-C." (L'Ecriture, p. 194).
Chez les Romains, contrairement aux Egyptiens par exemple, l'écriture reste une occupation servile. Ni le particulier, ni le haut fonctionnaire n'écrivent de leur main : ils se contentent d'authentifier leurs lettres ou actes, non par leur signature, mais par une formule de politesse autographe. Ainsi, les esclaves qui ont été formés à l'écriture sont-ils très nombreux. Ce n'est donc pas par générosité que les Romains les envoyaient s'instruire, mais par intérêt. L'apprentissage de l'écriture a donc dû tenir une place importante dans l'éducation des esclaves. Les riches particuliers ont pu se constituer des bibliothèques en faisant copier à leur domicile des livres empruntés. Ces esclaves-scribes faisaient office de "photocopieuse" !
Progressivement une écriture minuscule, plus pratique, concurrençait la majuscule, surtout chez les écrivains, les savants et les copistes, particulièrement lors du passage du volumen au codex.
Au Ve siècle les Barbares pénètrent dans l'Empire; ils
possèdent une écriture alphabétique adaptée du grec par l'évêque Wulfila (mort
en 383), en Mésie inférieure, pour traduire
REPARTITIONS DES ECRITURES DANS LE MONDES
L'extension de l'écriture latine en Europe s'est d'abord faite avec l'extension progressive de l'Empire romain et de l'établissement de ce qu'on appelle le limes, la limite militaire plus ou moins fortifiée. Puis, le processus de christianisation prit le relais. Actuellement, l'écriture latine a conquis la plus grande partie du monde, et possède un dynamisme de projection qui fait qu'elle s'étend de plus en plus.
"Nous avons de l'espagnol, depuis le XIIe siècle, du portugais à peu près à la même époque, de l'italien depuis le XIIIe siècle, peut-être avant, du français depuis le IXe siècle. Le germanique est contemporain du français, même un peu antérieur, il est du IXe siècle... Par la suite, il y eut l'extension de l'écriture latine avec l'Eglise réformée qui s'est installée sur une partie de l'Allemagne, des Pays Scandinaves et encore plus à l'Est." (L'Ecriture, p. 314 + carte p. 315).
Actuellement, un grand nombre de pays sont en mutation dans le domaine de leur écriture. Ainsi, le Viet-Nam écrit en caractères latins sa langue nationale : le quoc ngu. Madagascar, Indonésie, Philippines et d'autres pays encore se convertissent. Même en Chine "sans abandonner formellement et complètement ces caractères phonétiques chinois, on a décidé tout autre chose, après de minutieuses études pour lesquelles a été créé un comité comprenant soixante chercheurs. Finalement, un décret a été voté par l'Assemblée Nationale, au début de 1958, et c'est l'écriture latine qui a été adoptée pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. (p. 320)... Le système scolaire consiste en ceci : les enfants entrant à l'école à sept ans apprennent l'écriture latine d'abord, en deux mois au plus; quand ils possèdent bien le mécanisme de l'écriture et de la lecture, quand ils savent ce que c'est qu'écrire et lire, on leur montre les caractères chinois, au nombre de trois mille dont plus de la moitié ont un tracé qui a été simplifié récemment. L'enseignement se fait avec des tableaux combinés et des textes juxtalinéaires." (L'Ecriture, p. 322). Nous trouvons donc en Chine un système assez surprenant, mais prometteur, de cohabitation pacifique de deux écritures. Ce sont donc, au point de vue de l'histoire de l'écriture, mais aussi du processus plus vaste de l'hominisation, des événements importants, qui marquent les étapes de cette marée de l'écriture latine de par le monde.
Un fait renforcera encore la domination de la langue latine : pour leur programmation les ordinateurs "comprennent" essentiellement, voire exclusivement, des caractères latins et des chiffres arabes dans les langages dits "évolués" comme dans le langage machine d'ailleurs.
De plus, les ordinateurs envahissent progressivement le domaine de l'imprimerie et de l'enseignement, directement lié à la diffusion des connaissances. Les ordinateurs spécialisés dans le traitement de texte apparaissent comme les successeurs des machines mécaniques à imprimer. Mais bien plus que ces dernières, les ordinateurs imposent inconsciemment à leurs utilisateurs une forme spécifique de pensée, une logique occidentale, plus spécifiquement anglo-saxonne. Progressivement, le raisonnement logique repousse les approches intuitives et la sensibilité des autres cultures.
"Si l'on essayait de donner une définition de ce qu'on appelle "imprimerie", la première idée qui viendrait à l'esprit serait sans doute de dire, dans un sens large, qu'on appelle imprimerie tout procédé mécanique de reproduction en série des textes. Dans ce sens on peut déjà considérer comme procédé d'imprimerie la technique des impressions xylographique - technique en vertu de laquelle les images et les caractères gravés en reliefs sur des planches de bois, et préalablement encrées, sont reproduits sur des étoffes ou des papiers" (L'Ecriture, p. 279). Actuellement, les textes peuvent être reproduits sur des écrans cathodiques utilisant des canons à électrons ! Les textes sont multipliés sur des bandes, disquettes et disques magnétiques, et même sur vidéo-disques utilisant le rayon laser. Des tablettes d'argile des Sumériens de 3500 avant notre ère au vidéo-disque et rayon laser, l'évolution des techniques de l'écriture est prodigieuse. Mais il a tout de même fallu plus de 5000 mille ans d'efforts des totalités humaines, fécondés par le génie individuel.
Dans notre perspective sociologique d'analyse de l'hominisation, une observation de Métraux sur les mécanismes de diffusion culturelle nous semble importante :
"Avant de terminer, je voudrais m'étendre un peu sur les écritures que des peuples dits "primitifs" ont inventées sous l'influence de notre écriture, sans cependant qu'il y ait eu transmission directe d'un système à l'autre. Ce mode de diffusion a été décrit par le professeur A. Kroeber sous le terme de "diffusion par stimulation", (stimulus diffusion). Il ne s'applique pas seulement à l'écriture mais à toutes techniques qui, sans être empruntées directement, ont été en quelque sorte recréées par un groupe humain, lequel, sans en connaître le détail, en avait pourtant une idée sommaire. Dans le domaine qui nous concerne, un exemple classique nous est fourni par l'Indien Cherokee, Sequoya, qui eut l'idée de constituer un syllabaire pour sa langue en utilisant des signes de son invention ou des lettres de notre alphabet, auxquels il donna une valeur phonétique de son choix.
L'écriture des Vaï du Libéria a une origine analogue. Son inventeur, un certain Doalu Bukere, qui prétendait que son système lui avait été révélé en songe, savait en fait que les Blancs ou les Arabes communiquaient par des signes écrits...
La plus surprenante des écritures dues à une diffusion indirecte est celle de Njoya, roi du pays Bamoun au Cameroun. Il créa avec l'aide de ses conseillers une écriture qui en quelques années évolua de la pictographie et de l'idéographie au syllabisme et même, paraît il, à l'alphabet. Toutes ces étapes furent franchies en une vingtaine d'années. Le système originairement composé de 387 symboles fut réduit à 80. Il est intéressant de noter que dès son premier stade cette écriture en partie pictographique contenait des rébus." (L'Ecriture, p. 18).
"Les plus anciennes langues parvenues tardivement
jusqu'à nous grâce à l'écriture sont à peu près contemporaines du IVe ou du Ve
millénaire. Pour remonter au-delà nous n'avons que le témoignage aléatoire des
légendes conservées par des textes sacrés, notamment ceux des peuples de la
récitation et des religions du livre, l'Inde, Israël et l'Islam. La parole y
est représentée comme une révélation divine..." (BENOIST, 1977, p. 27). Il
est intéressant de mettre en parallèle l'origine divine des langues et
l'affirmation de l'inventeur de l'écriture du Libéria, qui prétendait que c'est
un songe (probablement d'origine divine) qui lui permit de concevoir la
nouveauté de l'écriture. Cette référence à la divinité permet au novateur
d'échapper au contrôle social, et bien souvent, à sa répression sanglante.
Cette interprétation acceptée, on peut comprendre le magnifique récit de
L'homme moderne n'échappe point à cette sorte de
"réflexe" culturel qui lui impose encore souvent une sorte de rapport
magique au divin. Par exemple, "En 1954,
Quant aux américains, ils inventèrent à leur tour un terme plus simple de "computer".
IBM France s'adressa alors au professeur Jacques PERRET, de
Dieu était le grand "Ordinateur" du Monde, c'est-à-dire celui qui met de l'ordre selon un plan. Le terme, modestement, fut jugé digne des machines nouvelles dont on pressentait l'avenir.
La définition fut donc appliquée aux nouvelles EDPM capables de mettre de l'ordre dans des informations éparses en fonction d'un but précis". (BELLAVOINE, 1969, Introduction).
Nous pouvons souligner ici la cohérence du psychisme humain, même dans ces manifestations les plus inconscientes. En effet, rapprocher sémantiquement de Dieu une machine qui "met de l'ordre" semble tout à fait logique, lorsqu'on se rappelle que le "rite désigne, à l'origine, ce qui est accompli conformément à l'ordre" (BENOIST, 1977, p. 95) et s'adresse à la divinité.
Les rapports entre psychologie et écriture sont à double sens. Des besoins d'ordre psychologique ont influé au cours de l'histoire sur l'écriture : sur sa création, son développement, ses formes diverses et le système plus ou moins organisé qu'elle constitue. Mais en retour, les effets de l'écriture sur la "psychologie des peuples" sont sans doute bien plus profonds qu'on ne serait généralement tenté de le croire. (L'Ecriture p. 29)... Je voudrais montrer principalement comment cette fonction de pure communication intellectuelle, de transmission d'un contenu sémantique à l'exclusion de tout autre élément, qui est la fonction essentielle que nous attribuons aujourd'hui à l'écriture, ne s'est dégagée que lentement et par étapes, et comment ces étapes correspondent à des modifications du social qui ont amené des extensions successives des emplois de l'écriture et de son usage. C'est en somme toute l'histoire de l'esprit humain qui se trouve intéressée par celle des fonctions et de la place de l'écriture dans la société. (p. 30).
Notre brève analyse de l'apparition et du rôle du langage humain, puis de l'apparition et de l'évolution de l'écriture font apparaître l'extériorisation progressive de contenus intellectuels, d'abord exclusivement stockés dans le cerveau des individus, au fil de son ontogenèse. Sans langage, qu'il soit gestuel, vocal ou écrit, la phylogenèse culturelle n'existe pas et les expériences individuelles se perdent à la mort de chaque individu. Avec le langage gestuel relativement limité et plutôt lent, puis vocal, modulation consciente et significative de l'air, bien plus étendu et rapide que le geste, une transmission de certains contenus mentaux de l'individu peut avoir lieu, provoquant la création d'une mémoire collective vivante. Mais les langages gestuels et vocaux, ainsi que les mémoires collectives orales, sont étroitement dépendantes des individus vivants. En comparaison des systèmes qui utilisent l'écriture, ils apparaissent comme très limités, et ne sont pas totale ment "extérieurs" à l'individu vivant.
En revanche, l'écriture permet de mémoriser certains contenus mentaux d'un individu, indépendamment de tout support vivant. Une pierre, sur laquelle se trouve une inscription vieille de plusieurs milliers d'années, peut donner une information souvent significative à un "décrypteur" contemporain. Avec l'écriture, nous trouvons donc un moyen qui extériorise, matérialise et fige des actes mentaux humains. Cette extériorisation est une des sources principales de la culture humaine et de la double programmation du comportement humain.
Avant de chercher quelle est la méthode qui convient le mieux à l'étude de la culture, il importe de définir cette qualification, d'autant plus que l'on s'en sert habituellement sans beaucoup de précision.
Dans le langage commun, le mot "culture" est utilisé dans des domaines aussi variés que l'agriculture (ex. culture maraîchère), les exercices physiques (ex. culture physique pouvant s'hypertrophier en "culturisme"), les exercices intellectuels (ex. enrichir sa culture, dont le cultisme ou cultéranisme est l'équivalent mental du culturisme, et aboutit à la préciosité). Nous constatons cependant un point commun à toutes ces qualifications : le terme de culture décrit presque toujours une activité humaine en vue d'une amélioration de "rendement", donc d'un progrès.
Durkheim avait déjà remarqué que les concepts "vulgaires" définissaient souvent un ensemble de phénomènes ayant des points communs : (Déb-cit)(, 1895)()"Il ne s'agit pas simplement de découvrir un moyen qui nous permette de retrouver assez sûrement les faits auxquels s'appliquent les mots de la langue courante et les idées qu'ils traduisent. Ce qu'il faut, c'est constituer de toutes pièces des concepts nouveaux, appropriés aux besoins de la science et exprimés à l'aide d'une terminologie spéciale. Ce n'est pas, sans doute, que le concept vulgaire soit inutile au savant; il sert d'indicateur. Par lui, nous sommes informés qu'il existe quelque part un ensemble de phénomènes qui sont réunis sous une même appellation et qui, par conséquent, doivent vraisemblablement avoir des caractères communs."[2](Fin-cit)
La Culture, Culture:définition du Larousse (Encycl. 3 vol., 1968): culture, n. f. Action ou manière de cultiver la terre ou certaine plante... // Fig. Développement, enrichissement des diverses facultés de l'esprit par certains exercices intellectuels; état d'un esprit ainsi enrichi : Il a le souci constant de sa culture. / Ensemble des connaissances qui permettent à l'esprit de développer son jugement, son goût : Il a une forte culture. / Connaissances relatives à une certaine discipline : Une solide culture musicale. / Forme particulière du savoir, de l'esprit : Culture primaire, moderne, classique, technique. / Apport intellectuel et spirituel : La culture gréco-latine. / En préhistoire, ensemble des objets faits par des hommes appartenant à une même ethnie... culturel, elle adj. Relatif à la culture de l'esprit, à la civilisation : Des études d'une grande valeur culturelle. / Qui vise à développer la culture, à répandre certaines formes de cultures : Conventions culturelles. Echanges culturels.
La culture, c'est l'ensemble de l'information d'origine humaine, mémorisée en dehors des cellules génétiques de l'espèce. Cette information est soit stockée dans les cellules nerveuses des cerveaux humains vivants, il s'agit de la culture orale; soit stockée en dehors de tout support vivant (pierre, papier, bande magnétique, disque vidéo, etc.), il s'agit alors de la culture "écrite". Nous définissons comme culture écrite toute information d'origine humaine mémorisée sur un support non-vivant.
ERARD propose le terme de "culture matérielle" (bâtiments, machines, appareils, matières, produits, objets divers, monnaies, infrastructures, véhicules, etc.) dans son plan de sociologie pluraliste (C.3213). Lorsque nous parlons de culture matérielle, nous nous référons donc à cette définition érardienne. Dans notre perspective, les oeuvres culturelles (C.324) "matérialisées", comme la sculpture, le cinéma, la peinture, ou même une maison, un pont, ou tout objet fabriqué peuvent aussi être définis comme de l'information culturelle écrite dans un sens large, bien que leur première fonction soit utilitaire et non communicationnelle.
L'information culturelle est soit mémoire (simple stock d'informations "mortes", inertes, de données diverses), soit programmation (informations "vivantes", contraignantes), sous forme explicite ou implicite. Ain si, les lois, les religions, les dictionnaires, sont de la culture-programmation explicite. Les encyclopédies, les ouvrages techniques sont, en principe, de la culture -information. Comme exemple mixte, nous pouvons donner les romans, les films, les théâtres qui véhiculent de la culture-information et de la culture-programmation dans des proportions variées, suivant les sociétés globales.
HAINARD (1985, pp. 16-17), lorsqu'il analyse une société, utilise ce qu'il appelle une "matrice fonctionnelle", assumant quatres fonctions essentielles: économique, culturelle, politique, sociogénétique. "Le culturel. Il comprend le champ sémantique, les conceptions du monde et la connaissance. Le champ sémantique est formé de signes et de symboles par lesquels les acteurs communiquent entre eux (parole, écriture, attitude, gestuelle, vêtements, habitat, etc.). Les constructions du monde sont les constructions intellectuelles relatives à l'homme, à la nature, à la société par lesquelles les acteurs s'interprètent et interprètent le monde, donnent un sens à leur existence et partant, élaborent la notion de légitimité. Enfin, le culturel comprend les connaissances et leurs modes d'élaboration".
Les codes culturels procèdent du sociologique[3], car (Durkheim, 1895, pp. XVI-XVII) : "Toutes les fois que des éléments quelconques, en se combinant, dégagent, par le fait de leur combinaison, des phénomènes nouveaux, il faut bien concevoir que ces phénomènes sont situés, non dans les éléments, mais dans le tout formé par leur union. La cellule vivante ne contient rien que des particules minérales, comme la société ne contient rien en dehors des individus; et pourtant il est, de toute évidence, impossible que les phénomènes caractéristiques de la vie résident dans les atomes d'hydrogène, d'oxygène, de carbone et d'azote... La fluidité de l'eau, ses propriétés alimentaires et autres ne sont pas dans les deux gaz dont elle est leur composé, mais dans la substance complexe qu'ils forment par leur association.
Appliquons ce principe à la sociologie. Si, comme on nous l'accorde, cette synthèse sui generis qui constitue toute société dégage des phénomènes nouveaux, différents de ceux qui se passent dans les consciences solitaires, il faut bien admettre que ces faits spécifiques résident dans la société même qui les produit, et non dans ses parties, c'est-à-dire dans ses membres. Ils sont donc, en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles... On ne peut les résorber dans les éléments sans se contredire, puisque, par définition, ils supposent autre chose que ce que contiennent ces éléments... Les faits sociaux ne diffèrent pas seulement en qualité des faits psychiques; ils ont un autre substrat, ils n'évoluent pas dans le même milieu, ils ne dépendent pas des mêmes conditions. Ce n'est pas à dire qu'ils ne soient, eux aussi, psychiques en quelque manière puisqu'ils consistent tous en des façons de penser ou d'agir. Mais les états de la conscience collective sont d'une autre nature que les états de la conscience individuelle. La mentalité des groupes n'est pas celle des particuliers; elle a ses lois propres."(Fin-cit)
L'information et la programmation culturelles possèdent une arborescence d'histoires, ou de genèses, au même titre que le développement biologique dans son ensemble. La culture humaine représente une somme d'informations énorme qui a la particularité de ne plus être stockée dans un être vivant (au moyen du code génétique), mais en dehors de lui. Ce point est fondamental pour la compréhension de notre conception de la "double programmation" du comportement humain.
De plus, "il semble bien qu'il existe entre l'évolution d'une société et les mutations physiologiques des hommes qui la composent un rapport intelligible. Ce rapport - accessible à la vérification empirique - trace dans le sable mouvant de l'histoire la figure d'une double interdépendance dialectique entre l'institution sociale et le cerveau humain qui la conçoit. Toujours sous forme d'hypothèses deux énoncés subsidiaires deviennent alors possibles : la paléontologie classique comme la neurophysiologie contemporaine indiquent que l'évolution des structures cérébrales de l'homme poursuit un trajet allant d'une structure relativement simple vers des types d'organisation d'une complexité extrême. Si le rapport d'interdépendance entre structures sociales et organisation physiologique du cerveau pouvait être démontré du moins en partie, nous pourrions affirmer que la société des hommes évolue elle aussi selon un mode intelligible et qu'elle épouse le trajet du développement cérébral. Autrement dit : partant d'une structure relativement simple, elle emprunterait la route mal délimitée de la complication progressive" (ZIEGLER, 1969, pp. 19-20).
Le schéma "culturogenèse", ci-après, résume et compare la phylogenèse et l'ontogenèse comportementales (nous ne nous intéressons pas ici à la morphogenèse) des êtres humains. Il faut donc lire chaque "stade" de développement en relation avec les comportements qui y correspondent. "D'après tout ce que nous savons de l'évolution de la race humaine, la naissance de l'humanité doit être comprise de la même façon que celle d'un enfant. Quant l'homme eut transcendé le stade d'une adaptation instinctive minima, il cessa d'être un animal. Il était cependant aussi impuissant et désarmé que l'enfant qui vient de naître. La naissance de l'humanité correspond à l'apparition des premiers types d'Homo Sapiens, et son histoire est celle de sa naissance. Il fallut à l'homme des centaines de milliers d'années pour gravir les premiers degrés de la vie humaine. Il traversa d'abord une phase narcissique d'orientation magique omnipotente, à travers le totémisme, l'adoration de la nature, jusqu'à ce qu'il atteignit à la formation de la conscience, à l'objectivité, à l'amour fraternel. Au cours des quatre derniers millénaires, il a conçu l'idée d'un homme pleinement éveillé, et ces conceptions ont été exprimées de façon assez semblables par les grands maîtres des sciences humaines en Egypte, en Chine, en Inde, en Palestine, en Grèce et au Mexique." (Fromm, 1971, pp. 40-41). Bien entendu, "L'enfant âgé d'un mois n'a pas encore un organisme capable de soutenir l'activité adulte, Il ne pourrait en aucune façon penser, sentir ou agir comme tel. Depuis des centaines de milliers d'années, l'homme au contraire, est corporellement prêt à la maturité" (Ibidem, p. 80). Dans la mesure du possible, dans cette reconstruction "idéale" (au sens de Weber) des diverses temporalités humaines, nous avons tenu compte des remarques de Gurvitch (1962, pp. 292-293) : "ces temps historiques réels sont reconstruits selon le point de vue idéologique de l'historien qui est tenté de choisir certains de ces temps au détriment des autres. C'est que les temps étudiés par la science de l'histoire et qui se sont écoulés, se trouvent reconstruits par cette dernière selon les critères des sociétés, des classes et des groupes qui sont contemporains aux historiens. Ainsi les sociétés sont poussées à récrire sans cesse leur histoire, tout en rendant le temps passé à la fois présent et idéologique."
CULTUROGENESE
Programmation
comportementale
De l'espèce humaine De
l'individu
Cultures futures Adultes "créateurs"
___________________________________________________________________________________________
Cultures actuelles, contemporaines Adultes "normaux"
___________________________________________________________________________________________
Apprentis. du meurtre
légitimé (armée)
Cultures passées Adolescence
(Historiques-archaïques-préhistoriques adultes "retardés"
Education civique
Apparition de l'Ecriture Apprentis. de l'écriture
" de la religion
Apparition du Langage Socialisation, scolarité
" de
___________________________________________________________________________________________
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Hominisation Apprentis. du langage
Apprentis. de la chasse et " de la propreté
des modes de tuer
Singes ancestraux
Mammifères Petite enfance
___________________________________________________________________________________________
Vie aquatique Foetus-embryon
Vie cellulaire Fécondation - nidation
___________________________________________________________________________________________
Coacervat-virus Ovule-spermatozoïde
Origine de la vie Origine de l'individu
Origine de l'énergie
$$$ fin de la correction de DB des
mots coupés…
Il faut lire ce schéma de bas en haut, des origines à l'état actuel.
Le schéma de la culturogenèse présente chronologiquement le destin de la programmation comportementale mémorisée et retransmise par la matière vivante, de la cellule à l'homme.
Cette représentation schématique nous permet de saisir le rapport dialectique entre la phylogenèse et l'ontogenèse comportementales. L'évolution de la programmation comportementale de l'individu humain est, dans un premier temps, assujettie au palier d'évolution de l'espèce humaine. Mais en retour, les individus "créateurs" inventent de nouvelles programmations culturelles (par exemple, dans les façon de croire : animisme - totémisme - polythéisme - monothéisme - athéisme; dans les façon de s'habiller : mode; dans les manières de produire : technologie; de penser : science, philosophie; etc.)
Nous pouvons encore remarquer que le développement individuel ne répète pas dans le même ordre chronologique les séquences du développement de l'espèce. Ainsi, les apprentissages du langage et de l'écriture ont tendance à se faire toujours plus tôt, alors que l'apprentissage du meurtre à l'armée se fait très tardivement (dans les sociétés en guerre, cet apprentissage se fait en revanche beaucoup plus vite, et remplace souvent l'apprentissage de l'écriture.
Il semble donc théoriquement possible de faire une typologie des sociétés sur les différents contenus et les diverses chronologies de l'ontogenèse comportementale, par rapport à la phylogenèse.
Si nous reprenons notre présentation schématique de l'évolution du vivant dans une perspective, cette fois informationnelle, nous pouvons alors saisir les mouvements de concentration et de rediffusion de l'information aux divers paliers d'intégration du phénomène vital.
Ainsi, dans les sociétés primitives de l'espèce humaine, l'information inter-individuelle s'exprimait sous forme d'odeurs, puis de gestes, et finalement par la parole et le langage. Certains individus, possédant une bonne mémoire, mémorisaient les diverses informations d'une famille, d'un clan, d'une communauté.
Dans les sociétés dites civilisées du stade indus triel, l'information culturelle globale n'est plus détenue par des individus en vie, mais se concentre en dehors du vivant, notamment dans des bibliothèques étatiques, puis dans des banques de données centralisées. Mais avec l'avènement de la micro-informatique, des mémoires électroniques et des vidéo-disques à portée d'achat de tous les individus, nous revenons à une rediffusion de l'information au niveau individuel.
Bien entendu, les individus doivent, à chaque génération, intégrer et vivifier l'information culturelle, masse inerte et morte stockée en dehors de lui, au travers des nombreux processus de socialisation. Mais il s'agit de bien saisir le processus global des totalités humaines contemporaines qui mémorisent systématiquement toute l'information en dehors de l'humain, à tel point que nous pourrions concevoir la transmission du savoir humain, non plus d'homme à homme, mais de robot et d'ordinateur à homme. L'enseignement assisté par ordinateur, technique utilisée actuellement de plus en plus intensivement, en est les premières manifestations. Ainsi les hommes pourront se consacrer toujours plus à l'activité de création, se libérant des processus de mémorisation et de recherches d'informations.
Nous assistons à la production d'une masse énorme de culture "morte", stock fantastique d'informations de toutes sortes. Les individus ont la possibilité d'aller y puiser les connaissances qui conviennent le mieux à leur double programmation génétique et culturelle, produisant alors la culture "vivante"
Le processus évolutif du vivant passe ainsi par des stades de compilation de l'information, puis de diffusion, puis de reconcentration, indéfiniment. L'individu lui-même passe par un stade de concentration extrême, puisqu'au début de sa vie, toute son information génétique se concentre dans deux demi-cellules sexuelles, pour se rediffuser dans plus de 50'000 milliards de cellules somatiques, et se concentrer à nouveaux dans une demi-cellule sexuelle, selon le sexe.
Le schéma ci-après vise simplement à montrer les phases de contraction de l'information du vivant, et les phases de diffusion. Il s'agit d'une présentation didactique, et non pas explicative.
Dynamique
de l'information stockée et transmise par le vivant
Information physique, information chimique, information biochimique, coacervats - formes viroïdales
- matière vivante - cellules sans noyau
information diffuse inscrite dans le vivant (cytoplasme cellulaire);
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
"Apparition" de l'information biologique "écrite" (ADN-ARN) :
- cellule - noyau (ADN) :
information concentrée et inscrite sur un matériau génétique;
- noyau - organe (cerveau) :
transfert d'une partie de l'information de l'ADN à l'organe;
- organe (cerveau) - individu :
tradition orale diffusée, inscrite dans le vivant (familles, clans,communautés);
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Apparition de l'information culturelle écrite :
- individu - société :
tradition écrite, (sociétés traditionnelles : pierre - papier)
- société du futur - (société programmée ?)
"tradition informatisée" diffusée.
Le dénominateur commun de la dynamique informationnelle permet de saisir analogiquement le développement de la cellule, de l'homme et des sociétés globales, et de constater certaines similitudes intéressantes, notamment dans le phénomène de concentration et de diffusion de l'information.
Il n'y a qu'une science des hommes dans le temps, et qui sans cesse a besoin d'unir l'étude des morts à celle des vivants.
M. Bloch
Actuellement, nous pouvons distinguer deux sortes d'organisations vivantes : les formes de vie dont l'ensemble de l'information est inscrit à l'intérieur du vivant, en particulier dans le code génétique, et une forme de vie unique, l'espèce humaine, qui a réussi, apparemment en exclusivité terrestre, à inscrire une partie des informations acquises en dehors de son système génétique, en sécrétant la "culture écrite". L'homme résout, avec d'autres moyens, le problème de la communication. Les cellules inventent et utilisent des hormones, l'homme invente un langage, qui est une sorte de "système hormonal externe"; l'hormone devenant mot.
Tant que les informations comportementales sont inscrites dans le vivant lui-même, il ne peut y avoir d'incompatibilité de développement entre l'ontogenèse et la phylogenèse. Le développement de l'organisme se fait selon son propre programme issu, en continuité, de la phylogenèse. A aucun moment, l'individu ne peut se sentir étranger à lui-même. Son comportement prend sa source au coeur de sa propre réalité génétique.
En revanche, lorsque l'information comportementale provient en grande partie de la culture, donc extérieure à l'organisme vivant en développement, il y a discontinuité. Un organisme vivant, à savoir un homme en formation, peut se voir imposer un programme comportemental qui n'a rien à voir avec sa phylogenèse, ou si l'on veut avec son support biologique. Pour prendre une analogie avec l'informatique, nous aurions d'un côté l'ordinateur et de l'autre une programmation qui ne serait pas faite spécifiquement pour cette machine précise. Il peut y avoir compatibilité, c'est le cas le plus usuel chez les êtres humains, vu l'extrême standardisation de l'homo sapiens, mais il se peut aussi, que sur certains comportements, il y ait incompatibilité.
Donc contrairement à toutes les autres espèces vivantes, il existe un rupture radicale dans l'espèce humaine. L'homme n'est plus directement relié à sa nature; il faut que l'apport culturel stimule son cerveau en parti culier. L'organisme vivant qui est programmé seulement par ses gènes ne connaît pas le problème de la double programmation. Il est cohérent et automatiquement relié à sa nature, à son origine biologique. Ce n'est pas le cas pour l'homme "civilisé". Il existe des ruptures entre son développement biologique, et les contenus culturels qui n'ont pas suivi le même chemin évolutif, ce qui explique que les lois apparaissent comme extérieures à l'homme et par conséquent d'origine divine. Le chemin d'évolution du corps n'est pas le même que celui de l'évolution de la culture. D'où une nécessité vitale de relier le culturel au génétique, l'homme au divin. Un des disciples du Christ, Paul, l'a bien exprimé (Ep. aux Romains, 7.15s) "Effectivement je ne comprends rien à ce que je fais: ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais... Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi: c'est le mal qui est à ma portée. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur, mais dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres... Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché." En langage "moderne", nous pouvons décrypter les paroles de Paul ainsi : Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la programmation culturelle et par la chair à la programmation génétique, situation inconnue des animaux.
Bien des penseurs ont pressenti cette différence radicale entre l'homme et l'animal (POHLENZ, 1956, p. 150): "La conviction fondamentale de Zénon est qu'on ne peut définir exactement le but de la vie de l'homme qu'en partant de sa nature spécifique d'être raisonnable. Aussi ce philosophe a-t-il pour premier souci de tracer très nettement les limites entre l'homme et l'animal, qu'Epicure cherchait à effacer. Il reconnais sait naturellement que tous deux avaient en commun non seulement le corps mais aussi les fonctions psychiques animales... Mais il était pour lui non moins certain que la situation de l'homme en face du monde extérieur était cependant tout autre que celle de l'animal..." En effet, l'animal, dans son comportement, obéit à une seule source : sa programmation génétique. Chez les animaux les plus évolués, il existe aussi un embryon de "culture". L'animal en tient compte dans le présent, et lorsqu'il enfreint une "règle culturelle" (non respect de la hiérarchie), la punition est immédiate et infligée par celui qui est lésé. L'animal ne connaît pas de crise de conscience, les choix sont simples et immédiats. Ni le passé, ni le futur n'existent. La temporalité du comportement animal est uniquement le présent, et les sources du comportements sont toujours cohérentes.
L'homme se trouve confronté à une situation plus complexe. Sa source de référence n'est plus unique: sa composante biologique, ses gènes, ses instincts, (le ça freudien) programment le pôle génétique de l'individu. L'autre pôle est la culture, avec les lois, les coutumes, les habitudes. L'enfant doit les intégrer activement. Mais comment intériorise-t-il les données culturelles qui, contrairement aux données biologiques, peuvent ne pas être cohérentes, en elles-mêmes, ou avec les forces biologiques (par exemple certains tabous sexuels). La liberté de l'individu s'effectue à ce niveau : il va "choisir" d'obéir, soit aux forces culturelles dominantes, et dans ce cas il aura l'approbation des gens conformistes, risquant cependant la maladie ou la folie, soit aux ordres qui lui viennent de ses profondeurs biologiques, et dans ce cas il risque la réprobation humaine, la répression, la prison. (Exemple: un jeune homme rencontre une jeune fille; lui est juste majeur, elle est encore mineure, mais sexuellement mature. Ils tombent amoureux l'un de l'autre. Vont-ils suivrent les ordres qui viennent directement du biologique ou ceux qui proviennent de la culture ?) Malheureusement les législateurs sont souvent ceux qui vivent le plus en contradiction avec la vie, avec la biologie. Ils vivent au pôle da la culture, séparés du biologique, et entraînent à la catastrophe les autres humains crédules. Ainsi, les interdits sexuels, où la programmation génétique entre violemment en conflit avec la programmation culturelle, provoquent souvent des problèmes psychiques, notamment des névroses parfois très graves.
L'interdépendance de tous les phénomènes organiques nous
impose de situer préalablement le "phénomène humain" dans la
conception "actuelle" de notre monde, "fondée sur la certitude
que l'Univers, les étoiles,
Pour comprendre l'univers, pour se comprendre eux-mêmes, les hommes durent forger des concepts, qui entraînèrent souvent des débats passionnés et passionnants. Les notions de Nature et de Culture provoquent précisément d'âpres discussions, depuis très longtemps déjà.
"La culture humaine - j'entends tout ce par quoi la vie humaine s'est élevée au-dessus des conditions anima les et par où elle diffère de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer la civilisation de la "culture" - présente ... à l'observateur deux faces. Elle comprend, d'une part, tout le savoir et le pouvoir qu'ont acquis les hommes afin de maîtriser les forces de la nature et de conquérir sur elle des biens susceptibles de satis faire aux besoins humains; d'autre part, toutes les dis positions nécessaires pour régler les rapports des hom mes entre eux, en particulier la répartition des biens accessibles." (FREUD S., 1973, p. 8).
Freud ajoute un peu plus loin que (p. 9) "...chaque
individu est virtuellement un ennemi de la civilisation qui cependant est
elle-même dans l'intérêt de l'humanité en général". Les dangers qui
menacent la civilisation seraient donc enfouis dans les instincts de l'homme et
(p. 10) "La question décisive est celle-ci: réussira-t- on, et jusqu'à
quel point, à diminuer le fardeau qu'est le sacrifice de leurs instincts et qui
est imposé aux hommes, à réconcilier les hommes avec les sacrifices qui
demeureront nécessaires et à les dédommager de ceux- ci?". Mais de toute
façon, (p. 12) "Un certain pourcentage de l'humanité - en vertu d'une
disposition pathologique ou d'une force excessive de l'instinct - restera sans
doute toujours asociale, mais si l'on parvenait à réduire, jusqu'à n'être plus
qu'une minorité, la majorité d'aujourd'hui qui est hostile à la culture, on
aurait fait beaucoup, peut-être tout ce qui se peut faire." Pour Freud une
contradiction irréductible oppose la "Culture" ou
La formulation de SPENCER (1873, p. 361.) "L'être humain est à la fois le problème final de la biologie et le facteur initial de la sociologie" permet d'envisager une approche non duelle du phénomène humain. En revanche, nous émettons une réserve concernant l'expression "problème final de la biologie". L'homme ne termine pas la biologie; il la continue plutôt en y ajoutant un nouveau palier d'intégration. Dans la construction de notre propre cerveau, nous pouvons observer ce phénomène de superpositions de structures cérébrales nouvelles, étudié spécialement par MacLean (théorie des trois cerveaux).
Un rapport évident de continuité apparaît entre la biologie et la sociologie : "Les deux sciences sont connexes à deux points de vue différents, d'une égale importance. En premier lieu, toutes les actions sociales étant déterminées par les individus et toutes les actions des individus étant réglées par les lois générales de la vie, l'interprétation rationnelle des actions sociales suppose la connaissance des lois de la vie. En second lieu, une société dans son ensemble, considérée à part des unités vivantes qui la composent, présente des phénomènes de croissance, de structure et de fonctions analogues aux phénomènes de croissance, de structure et de fonctions que présente l'individu; et ceux-ci sont la clef des autres." (SPENCER, 1873, p. 354).
Durkheim (1983, note p. 14) pense aussi qu'entre la biologie et la sociologie, il y a continuité : "dans les organismes comme dans les sociétés, il n'y a entre ces deux ordres de fait que des différences de degré".
D'autres chercheurs défendent la conception de discontinuité entre la nature et la culture. Ruffié (19 , p. 362) prétend en effet : "Evolution biologique et évolution culturelle diffèrent profondément par leur nature. La première, fondée sur la maturation, est le fruit du hasard guidé par la nécessité. Elle se poursuit au prix d'un immense gaspillage, ses réussites étant en nombre infime par rapport aux nombreuses tentatives vouées à l'échec. Encore ne fournit-elle le plus souvent que des solutions approximatives : nous avons vu que l'adaptation biologique est "acceptable", mais toujours imparfaite. L'adaptation culturelle, au contraire, fruit d'une volonté consciente, et délibérée, ajuste mieux ses solutions. Elle n'a rien d'aléatoire... L'objet fabriqué sera immédiatement fonctionnel, apte à remplir son rôle : tout au plus exigera-t-il quelques menues retou ches. Au contraire, l'évolution biologique, poursuivie sans aucun but conscient, est comme un serrurier aveu gle, qui aurait à façonner une clef pour une serrure dont il ignore tout, et qui, pour se faire, disposerait de l'éternité."
Jacques Ruffié insiste sur l'apparente discontinuité entre l'évolution biologique et l'évolution culturelle. Ces deux formes d'évolution lui semblent profondément différentes. Nous pouvons cependant remarquer que Ruffié n'a pas bien étudié le processus de l'invention humaine. Il prétend, par exemple, que "L'objet fabriqué sera immédiatement fonctionnel, apte à remplir son rôle : tout au plus exigera-t-il de menues retouches".
Toute l'histoire des inventions montrent sans équivoque aucune le contraire. L'histoire de l'écriture est jonchée d'un nombre incalculable de tâtonnements aux résultats approximatifs et sans aucune perfection. Deux à trois mille ans au minimum ont été nécessaires à l'élaboration d'une véritable écriture, et les essais continuent dans l'imprimerie et l'informatique. L'histoire de l'aviation est encore plus démonstrative : les premières machines volantes ne volèrent point! et même tuèrent souvent leur inventeur. Au même titre que les "inventions" biologiques, les inventions humaines souffrent exactement des mêmes faiblesses lorsqu'on les compare avec de nouvelles inventions qui supplantent les anciennes. Qui pourrait soutenir que les premières machines volantes atteignirent la perfection dès le début et ne nécessitèrent que d'infimes retouches de détail ! Lorsqu'on les compare aux avions supersoniques actuels, à la navette spatiale, il faut bien leur réserver les mêmes vocables que Ruffié utilise pour caractériser l'adaptation biologique : ainsi, les premières machines volantes étaient tout juste acceptables, et combien imparfaites.
De plus, l'immense gaspillage biologique n'existe que dans l'esprit humain. C'est plutôt l'homme qui gaspille les ressources naturelles.
Quant au niveau sociologique, on remarque combien l'organisation humaine est encore imparfaite, provoquant d'incroyables gaspillages de richesses culturelles et matérielles, simplement pour trouver une organisation sociale qui accorde aux hommes un plaisir de vivre comparable à celui des animaux. Apparemment l'espèce humaine est la seule qui souffre du suicide (il y aurait quelques exemples de suicide collectif d'animaux, notamment les lemmings, mais les observations ne sont pas claires; il semble plutôt qu'il s'agisse d'un comportement instinctif qui provoque accidentellement la mort. Ce n'est pas cette dernière qui est voulue).
Lors de l'analyse du comportement d'un "être vivant", qu'il soit un animal ou un humain, il semble intéressant de le situer dans le mouvement général du phénomène vital. Il n'est pas indifférent de savoir que la construction d'abris est pratiquée dans quasiment tous les phylums vivant actuellement, des insectes à l'homme, en passant par les poissons, les reptiles, les mammifères. Même un comportement aussi "spécial" que le vol aérien se retrouve dans quasiment tous les phylums, à des degrés divers d'évolution. Chez les mammifères, la chauve-souris vole suffisamment bien pour capturer les insectes qu'elle désire manger. Sa capacité à se reproduire en témoigne. Pour l'écureuil planeur, sa technique de vol plané est parfaitement satisfaisante quant aux buts qu'il poursuit. Il n'a donc pas de raison de rendre plus "parfait" son vol, puisque cela ne lui est d'aucune utilité. Il en est de même pour bien des inventions humaines, qui stagnent tant qu'elles suffisent aux hommes qui les emploient.
Devant ces faits, il faut bien se poser la question embarrassante : les forces qui poussent l'homme à voler dans les airs, souvent au risque de sa vie, sont-elles les mêmes qui poussèrent les autres phylums à envahir l'espace aérien, nouvelle niche écologique. La même problématique s'impose pour la construction des terriers, des nids, des maisons, pour les comportements amoureux, la formation des couples et la procréation. Dans ces domaines, la recherche d'explications exclusivement sociologique risque d'exclure à tort la composante biologique. Nous retrouvons ici notre hypothèse de la double programmation du comportement humain, qui semble capable de résoudre facilement cette problématique.
En revanche, nous ne pouvons encore trancher la question de la convergence ou de la continuité entre les deux programmations. La convergence signifie simplement que, par des moyens complètement différents, on obtient les mêmes résultats. Les ailes et le fuselage d'un avion finissent forcément par se ressembler : les lois de l'aérodynamique sont leur dénominateur commun. Ici, le concept de convergence des biologistes s'impose. Mais dans le comportement du vol aérien, le choix est moins net, et nous pensons que la notion de continuité s'adapte mieux à la description du réel. Par conséquent, les forces fondamentales qui "agissent" l'homme, qui le "meuvent" procèdent primairement de la programmation génétique, puis subissent une élaboration secondaire, apparaissant souvent comme des rationalisations sociologiques ou psychologiques. De plus, lorsqu'un chercheur scientifique examine une unité d'un système quelconque : "Il s'aperçoit que plus il l'observe et la décrit avec exactitude, plus il se trouve décrire aussi le milieu au sein duquel elle évolue et les autres systèmes auxquels elle semble inséparablement liée... Au lieu de la cohésion inarticulée d'une pure substance apparaît la cohésion articulée de systèmes nécessaire ment reliés les uns aux autres. Il s'ensuit, en ce qui concerne l'étude du comportement humain, qu'on ne peut plus séparer les structures psychologiques des structures sociologiques, biologiques ou écologiques. Les départements du savoir, fondés sur ce qui apparaît maintenant comme de grossières et primitives divisions de la nature, commencent à se fondre en des disciplines hybrides aux noms encombrants, telles que la neuropsychiatrie, la sociobiologie, la biophysique et la géopolitique. A un certain degré de spécialisation, les divisions du savoir scientifique se mettent à converger, parce qu'elles sont assez avancées pour constater que le monde lui-même converge, si nettement délimitées qu'aient pu paraître ses parties" (WATTS, 1974, pp. 3-4). La sociologie, aussi englobante qu'elle puisse paraître, est elle-même partie d'un tout : le phénomène du vivant dans son ensemble. Il faut donc que ses explications s'harmonisent avec celles de l'écologie, de la biologie, de la psychologie, etc. Par conséquent, l'explication sociologique n'épuise pas le réel. Pour Teilhard de Chardin (1955, pp. 37-38) l'isolement de systèmes individuels, atomiques, "n'est qu'un stratagème intellectuel... Considérée dans sa réalité physique et concrète, l'Etoffe de l'Univers ne peut se déchirer. Mais, sorte d'"atome" gigantesque, c'est elle, prise dans sa totalité qui forme... le seul réel Insécable... Plus, par des moyens d'une puissance toujours accrue, nous pénétrons loin et profond dans la matière, plus l'interliaison de ses parties nous confond... Impossible de trancher dans ce réseau, d'en isoler une pièce, sans que celle-ci s'effiloche et se défasse par tous ces bords",
Finalement, le débat nature-culture s'inscrit dans un contexte bien plus vaste, qui admet, et la convergence et la continuité. La dialectique d'antinomie passe alors à celle de réciprocité de perspective, voire d'implication mutuelle.
Comme hypothèse préliminaire, nous admettons que certains principes fondamentaux opèrent dans toute la hiérarchie organique, depuis l’œuf fécondé jusqu'au cerveau fécond de l'individu créateur. Cependant, dans l'analyse de ces principes fondamentaux, nous gardons à l'esprit l'observation de KOESTLER (1981, p. 408) : "J'ai commencé cet exposé en notant que les ailes de l'analogie étaient traîtresses, conscient du fait que ceux qui font confiance à ces ailes de cire partagent ordinairement le sort d'Icare. Mais c'est une chose de tirer des arguments d'une analogie, une tout autre de montrer une similitude apparente à laquelle on n'a peut- être pas prêté suffisamment attention et de se demander ensuite si cette similitude a quelque signification ou si elle est sans intérêt et décevante. Je pense que le parallèle entre certains processus qui sous-tendent l'évolution biologique et l'évolution intellectuelle a quelque signification".
Koestler observe que l'évolution biologique devient parfois "néoténique", particulièrement lorsque le phylum s'est engouffré dans une impasse évolutive. On constate alors l'apparition de la néoténie, qui est en quelque sorte la suppression de l'état adulte actuel. L'individu peut se reproduire sans parvenir à l'état adulte !
L'accélération de "la maturation sexuelle par rapport au développement du reste du corps - autrement dit le retardement graduel du développement au-delà de la maturité sexuelle - est un phénomène bien connu dans l'évolution. Appelé néoténie, ce phénomène a pour conséquence que l'animal commence à se reproduire alors qu'il conserve encore des traits larvaires ou juvéniles; et il arrive que la plénitude de l'état adulte n'est jamais atteinte : elle se trouve éliminée du cycle vital." (KOESTLER, 1981, p. 410).
"Il existe, par exemple, un phénomène connu sous le nom barbare de paedomorphose, terme forgé par Garstang (1922) il y a quelque quarante ans. L'existence du phénomène est bien établie; mais il est peu mentionné dans les traités, peut-être parce qu'il va à l'encontre du zeitgeist. Il montre que, dans certaines conditions, l'évolution peut, pour ainsi dire revenir sur ces pas, en réempruntant le chemin qui l'a menée jusqu'à un cul-de-sac, et repartir à nouveau dans une direction plus prometteuse. Pour parler plus simplement, la paedomorphose signifie l'apparition de quelque nouveauté évolutive au stade larvaire ou embryonnaire de l'ancêtre, une nouveauté qui peut disparaître avant que soit atteint le stade adulte, mais qui réapparaît chez le descendant adulte." (KOESTLER, 1981, p. 407).
Nous constatons un processus comportemental analogue, véritable paedomorphose psychique, chez les jeunes adolescents humains qui refusent de devenir "adultes", car ils prétendent que ce monde adulte est menteur, hypocrite, incohérent, incompréhensible et "fini". Les psychiatres considèrent ce comportement comme pathologique, mais si l'on admet la théorie biologique de la néoténie, on peut alors concevoir que ce refus de devenir adulte "psychiquement" est en réalité une subtile réaction de survie à la recherche d'une autre voie comportementale.
L'état "adulte" actuel de l'homo sapiens aboutit à la pseudo-spéciation culturelle, dont les traits saillants sont le nationalisme, le chauvinisme, le racisme, avec de grands moments nationaux (fête de libération, fêtes patriotiques), des habits "traditionnels", etc. C'est état, légitimement refusé par un grand nombre de jeunes, conduit périodiquement nos adultes actuels aux guerres fratricides, aux massacres, aux génocides, à la guerre économique, au stress psychologique dû à la concurrence acharnée entre les individus.
Mais comment imaginer un processus vital aussi subtil et en apparence "prévisionnel", puisqu'il lui faut percevoir le cul-de-sac évolutif, et ensuite chercher une autre solution ? En réalité, il s'agit "simplement" de répondre à un traumatisme. Une alternative possible est une crise régénératrice au sens large, et qui suppose de profondes réorganisations de structure et de comportement qui aboutissent à un progrès biologique ou mental.
La possibilité de régénération est précisément un de ces principes fondamentaux qui opèrent dans toute la hiérarchie organique. Pour comprendre la dynamique de la régénération il convient d'aller progressivement des animaux primitifs aux animaux supérieurs pour finir à l'homme.
La régénération est l'un des tours de magie les plus spectaculaires du répertoire des organismes vivants. Si l'on coupe en deux transversalement un planaire, le côté tête se fera une queue, le côté queue se fera une tête; on peut la couper en cinq ou six, chaque tranche peut reformer un animal complet. Parmi les animaux supérieurs les amphibiens sont capables de régénérer un membre ou un organe. Chez la salamandre, après amputation d'une patte, les tissus des muscles et du squelette proches de la surface exposée se dé- différencient et prennent une apparence de cellules embryonnaires. A partir de là, le processus imite de très près la croissance des membres dans le développement embryonnaire.
En gravissant les échelons des reptiles aux mammifères, on voit que la force régénératrice des structures corporelles diminue, remplacée peu à peu par une capacité croissante du système nerveux à réorganiser le comportement.
Au sommet de l'échelle, nous voyons chez l'homme la faculté de régénération physique réduite au minimum, cette perte étant compensée par la capacité de remodeler les schémas de comportement - de relever les défis critiques et traumatiques par des réponses créatrices.
Ainsi, lorsqu'une société ne parvient plus à régler la transmission de ses rites et normes culturelles, une partie de sa jeunesse souffre psychiquement, particulièrement lors de la période pubertaire. K. Lorenz parle de "mue idéologique" qui pourrait être la manifestation la plus élevée des possibilités de régénération du phénomène organique. "Ce processus contraint tous les sujets à procéder au moment de la puberté à un examen critique de tous les legs culturels en se demandant plus particulièrement s'ils ne comportent pas d'éléments dépassés, sans rapport avec la situation de l'époque, et par quels nouveaux idéaux il faudrait les remplacer. Je suis persuadé que cette "mue idéologique" est un processus important issu de la phylogenèse humaine dont la fonction au service de la conservation de l'espèce consiste à assurer aux normes comportementales la plasticité nécessaire. Ce qui ne veut pas dire que les adolescents en question ne traversent pas à cette époque de leur vie une dangereuse crise. Le remplacement d'anciennes structures solides par des structures nouvelles passe toujours par une phase d'instructuration, c'est-à-dire de vulnérabilité." (LORENZ, 1981, p. 210).
La patte sectionnée d'une salamandre qui repousse stupéfie; on s'étonne qu'un ver de terre coupé en deux puisse donner deux vers de terre. Les parents "conformistes" sont étonnés de voir des enfants aux habitudes vestimentaires, à la chevelure complètement différentes des leurs. Dans les sociétés stables, les jeunes n'ont pas ces tendances "néoténiques" de régression, puis dans les cas heureux, de progression. Ils répètent simplement et sagement la vie quotidienne de leurs ancêtres. La néoténie accompagne probablement les sociétés en état d'anomie (cf. SZABO, 1977).
En biologie, nous avons analysé des cas bien précis où l'évolution "revient sur ces pas" pour sortir d'une impasse évolutive, et essayer de nouvelles voies, de nouveaux embranchements.
Dans l'histoire culturelle de l'humanité, nous trouvons aussi un grand nombre de ces retours aux sources, ou embranchements antérieurs. Le terme de révolution est d'ailleurs significatif; son origine sémantique latine "revolutio" veut dire : retourner.
Ainsi en est-il de Valdo, de Luther, de Hus. Ce dernier s'appuie sur le droit canonique, sur les textes du Décret de Gratien qui attestent la plus ancienne tradition de l'Eglise. "Il vérifie, en somme, par son attitude, cette analyse de M. Le Bras, un des maîtres de la science canonique de notre temps : "Tous les réformateurs se présentent comme les restaurateurs de l'ancien droit, et ils rencontrent les droits acquis. A ceux qui invoquent la mobilité des conditions, la possession immémoriale ou le cas concret, ils opposent la tradition antique qu'ils voudraient revêtue des caractères du droit divin : immuable, imprescriptible et sans dispense; réforme ne signifie pas pour eux changement, mais retour à la vérité primitive. Aussi toutes les réformes ont commencé par une exploitation des sources les plus vénérables" (BOULIER, 1958, p. 57).
Chaque individu passe, dans sa culturogenèse, au travers de plusieurs phases idéologiques.[4] Il est probable qu'un individu ne peut penser que grâce à l'apport culturel de l'outil social par excellence: le language. Mais l'apprentissage de la langue parlée et écrite, véritable cadeau qui illumine l'intelligence humaine, ne se fait pas d'une manière neutre. Bien au contraire. C'est par ce moyen que l'on "cultive" les individus dans des directions bien définies, qu'elles soient de civilisation, de nation, de classe, de clan, de famille. D'une certaine façon, la conscience individuelle est toujours partielle, donc partiale et finalement faussée. Au niveau culturel, le travail essentiel de l'individu est d'échapper aux "vérités" ambiantes, celles de son enfance et de son adolescence, mais aussi de l'âge adulte. En général, les individus ne s'aperçoivent pas de la fausseté de leurs valeurs, car dans leur champ culturel limité, leur conscience et leurs valeurs faussées sont non seulement opérationnelles, mais défendues par la majorité des gens et autorités.
Dans ce cas, comment et (Déb-cit)()"pourquoi un certain individu arrive-t-il à se libérer des ces illusions, de cette conscience fausse?"[5](Fin-cit)
L'évolution individuelle, tant biologique que culturelle connaît des moments de crise. La période la plus spectaculaire est celle de l'adolescence, avec des changements biologiques très marqués, mais aussi à une remise en question de tout l'héritage culturel. C'est à ce moment précis que l'individu peut commencer sa métamorphose individuelle, sa propre quête de la vérité qui va au-delà des demi-vérités collectives. Suivant son énergie, son courage, son génie, il se libérera de la force d'attraction sociale et commencera sa révolution, qui peut durer une vie entière (Déb-cit)[i](Fin-cit), ou qui peut écourter la vie de celui qui va dévoiler les mensonges de son groupe social.[6]
Sujet
d'analogie : LE VOL AERIEN "ACTIF" ET VOLONTAIRE
Questions
sur les faits observables suivants, le vol animal et le vol humain :
- Comment
explique-t-on le vol des animaux ?
Plusieurs solutions proposées :
. Lamarck (Transmissions des Caractères
Acquis);
. Darwin (Pangenèse + Sélection Naturelle);
. Les néo-darwiniens (Mutations au Hasard +
Sélection Naturelle).
- Comment
explique-t-on le vol humain ?
Questions
analogiques :
- Le
programme comportemental humain, qui a permis l'élaboration culturelle du vol
aérien, a-t-il quelque chose d'analogue, dans sa source ou dans ses procédés,
avec les essais des divers phylums de certains poissons, reptiles, insectes,
mammifères.
Quelques
précisions :
Nous
éviterons le piège du réductionnisme "sociobiologique" qui
expliquerait le vol humain (ou même le vol animal), par l'existence d'un gène,
ou d'un ensemble de gènes, qui programmeraient l'organisme au vol aérien.
Cependant,
il faut aussi se méfier du "réductionnisme" sociologique ou
"culturel" (faut-il parler ici plutôt de "globalisme, de
culturalisme, etc.?) qui ne veut rien savoir des soubassements génétiques ou
organiques (que j'utilise pour organes spécifiquement, cf. ma propre théorie de
l'évolution) dans les sécrétions culturelles humaines.
La prise de conscience que le monde vivant évoluait est une acquisition très récente de l'intelligence humaine. Au siècle passé, on croyait encore au créationnisme qui prétendait que le monde fut créé une fois pour toute. Progressivement cette opinion fut combattue et ruinée définitivement dans les cercles scientifiques.[7]
L'évolution humaine apparaît des plus hétérogènes. Rapide dans les domaines de la technologie, elle stagne au niveau du psychisme humain, au point que des penseurs affirment que la nature humaine est immuable, et que l'homme ne pourra jamais changer.
(Déb-cit)Freud remarque que si "L'humanité a fait des progrès constants dans la conquête de la nature et est en droit d'en attendre de plus grands encore, elle ne peut prétendre à un progrès égal dans la régulation des affaires humaines et il est vraisemblable qu'à toutes les époques comme aujourd'hui, bien des hommes se sont demandés si cette partie des acquisitions de la civilisation méritait d'être défendue."[8] (Fin-cit) Avec sévérité, Paul Valéry ajoute que (Déb-cit)"Le monde moderne dans toute sa puissance, en possession d'un capital technique prodigieux, entièrement pénétré de méthodes positives, n'a su toutefois se faire ni une politique, ni une morale, ni un idéal, ni des lois civiles ou pénales, qui soient en harmonie avec les modes de vie qu'il a créés, et même avec les modes de pensée que la diffusion universelle et le développement d'un certain esprit scientifique imposent peu à peu à tous les hommes."[9](Fin-cit)
(Déb-cit)Stanislav cerne encore mieux le problème de l'évolution du monde industrialisé : "La science matérialiste, aveuglée par sa vision du monde considéré comme un conglomérat d'unités séparées interagissant de manière mécanique, s'est avérée incapable de reconnaître la valeur et l'importance de la coopération, de la synergie et des soucis écologiques. Ses prodigieux succès techniques, qui permettent de résoudre la majorité des problèmes matériels accablant l'humanité, se sont finalement retournés contre elle. Ils ont engendré un monde dans lequel les plus grands triomphes de la science - l'énergie nucléaire, la technologie spatiale, la cybernétique, les lasers, les ordinateurs et les autres gadgets électroniques ainsi que les miracles de la chimie moderne et de la bactériologie - se sont transformés en un danger mortel et en un cauchemar de tous les instants. Nous avons ainsi hérité d'un monde divisé sur les plans politique et idéologique, menacé par des crises économiques, par la pollution industrielle et par le spectre de la guerre nucléaire. Au vu de cette situation, les individus sont de plus en plus nombreux qui s'interrogent quant à l'utilité des progrès technologiques de pointe qui ne sont contrôlés ni par des êtres mûrs ni par une espèce suffisamment évoluée pour maîtriser de manière constructive les outils qu'elle a créés".[10]
Enfin, d'autres penseurs proposent l'image du dinosaure pour décrire l'humanité actuelle; ils comparent l'énorme corps de cet animal à la masse monstrueuse du savoir "technologique" de nos sociétés industrialisées, et son cerveau minuscule à l'intelligence "politique" de notre corps social. Le décalage entre l'évolution des connaissances et l'évolution du comportement humain est tel qu'il en devient dangereux. (Déb-cit)"L'historien-philosophe anglais Arnold Toynbee juge que les grandes crises contemporaines résultent de l'écart qui s'est creusé entre le développement fabuleux des sciences (et donc des moyens de puissance dont disposent les hommes) et la stagnation des concepts éthiques et politiques (qui régissent la manière dont ils utilisent ces moyens)... Or il apparaît de plus en plus évident que, si notre civilisation ne parvient pas à réduire progressivement l'écart qui sépare une technologie toute-puissante d'une éthique restée souvent infantile, le monde courra à sa perte".[11](Fin-cit) (Déb-cit)Pierre Ducassé exprime exactement la même opinion en concluant que "Depuis le XIXe siècle, l'accroissement continu de notre puissance d'action matérielle dépasse visiblement les ressources, pour ne pas dire les limites, de notre génie social. A travers les crises économiques, les déchirements politiques, les effondrements de la culture, la disparition du raffinement psychologique et moral, l'homme du XXe siècle tente douloureusement d'accorder son âme et son corps au rythme de ses machines; de là son appel désespéré aux ressources les plus profondes de l'instinct collectif".[12](Fin-cit)
Malgré tous ces penseurs éminents qui annoncent des catastrophes imminentes, la plupart des hommes négligent ces questions d'évolution macro-sociale. Elles leur paraissent insolubles. (Déb-cit)Ainsi, pour paraphraser Marx, ces intellectuels-philosophes "n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, mais il s'agit désormais de le transformer."[13](Fin-cit)
Est-ce à cause des instincts humains qui s'opposent à la culture, comme Freud semble le croire ? (Déb-cit)"Il faut, je pense, compter avec le fait que chez tout homme existent des tendances destructrices, donc antisociales et anticulturelles, et que chez un grand nombre de personnes, ces tendances sont assez fortes pour déterminer leur comportement dans la société humaine".[14](Fin-cit)
Fromm affirme au contraire que les problèmes de l'humanité proviennent principalement des actes de soumission et d'obéissance aveugle aux diverses "autorités". (Déb-cit)"Si la capacité de désobéissance a été à l'origine de l'histoire humaine, l'obéissance pourrait très bien... être la cause de sa fin... Si l'humanité se suicide, ce sera parce que des individus obéiront à ceux qui leur ordonneront d'appuyer sur les boutons meurtriers; parce qu'ils obéiront aux passions archaïques de peur, de haine et de cupidité; parce qu'ils obéiront aux clichés désuets de la souveraineté de l'Etat et de l'honneur national".[15](Fin-cit) Cependant Fromm n'explique pas les raisons de la différence d'évolution entre le domaine technologique et le domaine psychosociologique de l'humanité.
Henri Laborit, lui, nous donne déjà de meilleurs éléments de réponse en montrant que l'homme a commencé, il y a quelques milliers d'années, par mettre en forme la matière, puis tout récemment l'énergie. (Déb-cit)"Ainsi, la caractéristique du cerveau humain, grâce à ses systèmes associatifs, est de créer de l'information avec laquelle il mettra en forme la matière et l'énergie depuis le paléolithique, et la mise en forme par l'homme d'un silex qu'il a taillé, jusqu'à l'utilisation contemporaine de l'énergie atomique... Mais seule l'information technique permet de les utiliser efficacement, donc de dominer son semblable. Et ce qui est plus grave, c'est que l'accroissement des connaissances dans le domaine de l'inanimé n'a pas été suivi parallèlement par celui des connaissances dans le domaine du vivant... La biologie a donc été très en retard dans l'évolution des connaissances humaines... Entre-temps, un discours logique a toujours fourni des alibis langagiers aux pulsions dominatrices inconscientes. Le progrès technique a été considéré comme un bien en soi, comme le seul progrès, alors que les lois biologiques commandant au comportement n'ont pas dépassé, jusqu'à une date récente, les connaissances acquises au paléolithique. Si, depuis deux mille ans, on nous a dit de nous aimer les uns les autres, en commençant par soi-même, le besoin des hommes d'expliquer leur comportement les a enfermés dans un dualisme, matière et pensée, qui ne pouvait aboutir qu'à une utilisation extrêmement habile du monde inanimé, au service d'un psychisme qui n'était jusqu'ici qu'un psychisme de blabla, une phraséologie prétendant toujours détenir une vérité, vérité qui n'était valable que pour les sous-groupes dominateurs et prédateurs, et jamais pour l'espèce entière".[16](Fin-cit)
En effet, si l'humanité connaît sporadiquement des poussées de fièvre, ce n'est pas à cause d'une éventuelle "nature humaine pernicieuse", mais bien plutôt parce que l'évolution humaine ne se fait pas d'une façon homogène. Il y a de nombreuses raisons à cela :
- Logique épistémologique : les sciences des niveaux d'intégration les moins complexes s'imposent les premières.
- Logique sociologique : les sous-groupes dominateurs imposent des lois sociales qui tendent à les privilégier à tout jamais.
- Logique psychologique (ou éthologique) : l'individu essaie d'imposer à vie sa domination dans les milieux familial, social, professionnel, etc.
Cette hétérogénéité provoque des déséquilibres graves, brise la cohérence mythologique des diverses cultures et, de ce fait, perturbe profondément les individus eux-mêmes. Peut-on dès lors conclure que l'évolution psychique de l'individu humain n'est guère probable, et que, malgré son développement technologique fantastique, l'homme restera toujours un "singe nu" aux réactions affectives extrêmement dangereuses ? L'évolution humaine, soumise à des contraintes sociologiques, notamment la répression différentielle, impose à l'individu un développement disharmonieux, hypertrophiant ses connaissances techniques, et atrophiant catastrophiquement ses qualités psychiques.
Un autre aspect de l'évolution différentielle de l'humanité provient de la croyance des premiers savants dans l'objectivité des scientifiques, même dans les sciences sociales, économiques et politiques. Les premiers économistes bourgeois se croyaient objectifs, et ils n'avaient pas l'intention de tromper leurs lecteurs, ni de donner une interprétation mensongère de la réalité. Simplement, ils ne pouvaient voir le monde autrement qu'en fonction de leur propre situation. Il en est de même pour les chrétiens qui voulaient expliquer le monde en fonction de la genèse biblique. Pendant des centaines d'années, l'évolution des formes vivantes ne pouvaient être perçues, ni observées.
Mais, pour éviter de tomber dans le nihilisme, découlant de l'interférence sociale dans les sciences, il faut dépasser les vérités, non seulement de classe, mais encore de civilisation.
Il faut déblayer la science des idéologies et des dogmes. La sociologie de la connaissance permet d'établir (Déb-cit)"des distinctions entre les différents types d'édifices intellectuels. Toute pensée est liée d'une certaine façon au milieu social, mais le lien de la peinture, de la physique, des mathématiques, de l'économie politique ou des doctrines politiques à la réalité sociale n'est pas le même. Il convient de distinguer les façons de penser ou les théories scientifiques, qui sont liées à la réalité sociale mais qui n'en sont pas dépendantes, des idéologies et consciences fausses qui sont le résultat, dans la conscience des hommes, de situation de classe qui empêchent de voir la vérité."[17](Fin-cit)
Les sciences sociales ainsi purifiées - mais le travail est loin d'être achevé - permettront de combler le retard sur les sciences dites exactes et donneront à l'humanité des connaissances véritablement opérationnelles pour corriger son évolution anarchique au travers des guerres, des famines, des génocides et des catastrophes écologiques.
L'évolution déséquilibrée de la culture humaine découle aussi des diverses répressions différentielles qui frappent d'une manière non homogène les novateurs. Suivant les époques, les civilisations, etc., les découvertes humaines dans les domaines technologique, sociologique, psychologique, ne sont pas acceptées d'une façon uniforme par les divers tissus sociaux.
(Déb-cit)Dans le monde occidental actuel, le progrès
technique devient une valeur primordiale et J.-J. Auteurs:Servan-Schreiber (1970, préface) va jusqu'à
dire que : "Autrefois, le développement
industriel avait pour condition préalable l'existence de ressources naturelles.
Aujourd'hui, il dépend de la science, de la recherche et de la technologie. La
seule clef de la croissance industrielle, c'est l'invention; et l'oxygène
nécessaire à l'invention c'est la liberté individuelle".[18](Fin-cit)
C'est à partir de
Savoir si l'être humain évolue encore au niveau biologique semble difficile pour un observateur actuel. En effet, il faut des milliers, voire des centaines de milliers d'années pour détecter la transformation de certains caractères spécifiques. Certains parlent d'une réduction de la pilosité, de la disparition des orteils, d'une diminution du nombre de dents.[21] Il semblerait que la proportion des hommes "brachycéphales" (ou crânes courts) augmente par rapport aux dolichocéphales (ou têtes longues). La taille moyenne des individus augmente continuellement. Si ces tendances se confirmaient dans le très long terme, l'homme de demain serait différent d'aujourd'hui.
Rien ne permet donc d'affirmer que l'évolution biologique de l'homme se soit subitement interrompue sous la pression de l'évolution culturelle. De plus, percevoir l'évolution biologique de l'espèce humaine ou des autres espèces animales est très difficile et aléatoire dans le court terme.
Les sociétés industrielles développent une emprise toujours plus grande sur les phénomènes naturels. Des digues contiennent les fleuves et parfois même l'océan. Des véhicules permettent d'explorer quasiment tous les milieux qu'ils soient terrestres, sous-marins, aériens et mêmes extra-terrestres. En contrepartie, l'espèce humaine coûte très cher au biotope naturel, dont le déséquilibre croissant des mécanismes de régulation pourrait provoquer sa perte de maîtrise par l'Homme.
Au niveau de l'évolution humaine, l'Homme est encore plus démuni devant la complexité des diverses sociétés et civilisations, composées de centaines de millions d'individus. Les réflexions, mentionnées ci-dessus dans le chapitre de l'évolution différentielle de l'humanité, montrent le malaise des penseurs et des philosophes, car les techniciens ne se posent guère ce genre de questions. Annoncent-ils la mort de l'humanité par hypertrophie de la "culture matérielle", ou est-ce leur propre mort que prophétisent les penseurs, philosophes et religieux devenus inutiles dans une humanité technicisée à l'extrême ? L'avenir le dira, mais (Déb-cit)"Contrairement à ce que croyaient les scientistes du XIXe siècle, le développement de la science ne rend périmé ni la philosophie ni la religion. Bien au contraire, il rend plus nécessaire que jamais leur approfondissement qui seul peut apporter à l'homme les réponses qu'il cherche, ce supplément d'âme... indispensable pour équilibrer l'accroissement du corps matériel de l'humanité que nous apportent les progrès de la science. Il importe particulièrement que l'homme ne soit pas assujetti par son progrès matériel, qu'il se maintienne libre en face de tous les conditionnements dont l'entoure sa propre industrie"[22].(Fin-cit)
(Déb-cit)() "Effectivement je ne comprends rien à ce que je fais: ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais... Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi: c'est le mal qui est à ma portée. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur, mais dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres... Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché."
Paul, Ep. aux Romains, 7.15s (Fin-cit)
Paradoxalement, nous envisageons la programmation humaine, non comme une fatalité déterministe, mais comme un moyen de libération comportementale. En effet, plus le degré de programmation est grand et plus le degré de liberté l'est aussi, à condition de prendre conscience de cette programmation humaine, et d'en connaître les composantes.
Le monde animal, étudié par les éthologistes, nous livre des schèmes comportementaux essentiels pour connaître le comportement des mammifères, notamment des primates et des homo sapiens.
L'analyse de la programmation génétique du comportement de certains animaux, mammifères y compris, permet de comprendre le pôle génétique du comportement humain. Il semble très probable, même si cette hypothèse n'est pas encore vérifiée, que la culture continue le génétique par d'autres moyens. (Déb-cit)( 1965)"Il est clair que le code génétique doit être regardé comme le plus fondamental de tous les réseaux sémiotiques et, donc, comme le prototype de tous les autres systèmes de signalisations employés par les animaux, l'homme inclus. Dans cette perspective, aussi bien les molécules, en tant que systèmes quantiques porteurs d'une information physique stable, que les systèmes zoo-sémiotiques que, finalement, les systèmes culturels, le langage inclus, s'ordonnent en une séquence naturelle d'étapes de plus en plus complexes par leur niveaux énergétiques donnant une évolution universelle. Il est donc possible de décrire le langage et les systèmes vivants sous une même perspective cybernétique. Bien qu'il ne s'agisse à présent de rien d'autre que d'une analogie utile, susceptible à la rigueur de donner des aperçus nouveaux mais non point d'informations nouvelles, cette évaluation conjointe de la génétique, de la communication animale et de la linguistique peut nous acheminer vers une compréhension exhaustive de la dynamique sémiotique".[23](Fin-cit)
Dans le domaine de la biologie, les éthologistes ont découvert que le comportement des animaux pouvait provenir de deux sources différentes : par le code génétique (inné) ou par l'apprentissage (acquis); en général, les deux sources interagissent. Cependant, par des expériences spécifiques, les éthologistes ont pu mettre en évidence certains cas de comportements soumis exclusivement au code génétique.
Ce point possède une importance théorique très grande; il nous permet de conceptualiser les deux composantes génétiques et culturelles qui existent chez tous les animaux et les hommes qui se transmettent des comportements "acquis" lors de la phylogenèse comportementale, que nous avons nommée "culturogenèse".
Ainsi, (Déb-cit)( 1973)"A peine sorti de l’œuf, le caneton sait nager et courir avec des mouvements bien coordonnés; il fouille la vase avec son bec en quête de nourriture, nettoie et lisse ses plumes, plonge sous l'eau en cas de danger. L'exécution de tous ces mouvements par un robot supposerait un réseau d'interconnexions extrêmement complexe. Pour démontrer que le caneton n'a nullement besoin de l'exemple de sa mère, il suffit de le faire couver par une poule: tous les efforts de sa mère adoptive ne l'empêcheront pas d'aller tout droit à l'eau et de manifester le comportement canard. Jamais l'idée ne lui viendra de picorer des grains comme sa mère adoptive. De toute évidence, ses manières lui sont innées: il a hérité tout un ensemble de comportements que l'on appelle aussi "coordination héréditaire".[24](Fin-cit)
Les mammifères sont également dotés d'une coordination héréditaire. La plupart du temps, il ne s'agit, chez ces animaux ayant la faculté d'apprendre, que de déroulements courts de comportements prédéterminés qui deviennent ensuite des actes fonctionnels complexes grâce à l'apprentissage. Les rats, par exemple, possèdent toute une série de mouvements innés pour la construction d'un nid. Mais il faut qu'ils apprennent la séquence appropriée de ces mouvements en les essayant. Il arrive même parfois que des mammifères soient dotés de séquences de comportement innées très complexes. Ethologie animale:L'écureuil européen, par exemple, (Déb-cit)( 1973)"cache en automne des provisions de noix et de glands pour l'hiver. Il cueille une noix, descend au sol et cherche un tronc d'arbre, un rocher ou une autre marque caractéristique et reconnaissable, creuse un trou avec ses pattes antérieures, y dépose la noix, l'enfonce par de rapides coups de museau puis la recouvre de la terre qu'il a ôtée et finit en tassant celle-ci avec ses pattes. Quand les écureuils naissent, nus et aveugles, ils ne savent rien faire de tout cela. On peut les élever isolément dans une cage sans litière et les priver de la possibilité d'apprendre ce comportement par auto-dressage en les nourrissant uniquement de liquides; ils n'auront donc pas l'occasion de s'exercer à creuser et à manier des objets solides. Et pourtant, dès qu'ils sont adultes, ces écureuils, eux aussi, maîtrisent cette technique à la perfection. Quand on offre pour la première fois des noix à un écureuil élevé de cette façon, il commence par les manger. Rassasié, il ne laisse pas simplement tomber la noix qu'on lui offre mais il examine le sol du laboratoire en tenant la noix dans sa bouche. Les objets verticaux l'intéressent particulièrement; il se met à gratter aux pieds des chaises ou dans les coins et y dépose la noix, la presse avec son museau et finit par faire des mouvements comme s'il remettait et tassait la terre, bien qu'il n'ait évidemment rien creusé. Tout un programme de comportement rigoureux se déroule - une adaptation phylogénétique innée à ces animaux."[25](Fin-cit)
L'on peut d'ailleurs observer des phénomènes semblables et bien connus chez les chiens. Avant de se coucher, le soir, de nombreux chiens tournent en rond comme s'ils voulaient fouler l'herbe; parfois, ils essaient même d'enterrer leur os dans le sol dur et de le recouvrir de terre avec leur museau. Ces exemples démontrent clairement la persistance avec laquelle de tels comportements sont transmis par hérédité, même s'ils sont devenus inutiles. Ils se déroulent automatiquement sans rapport avec l'environnement actuel.
En biologie, la programmation génétique du comportement de certains animaux ne fait donc plus aucun doute : elle est devenue aussi évidente que la programmation génétique dans le processus de morphogenèse animale et humaine. En revanche, lorsque nous abordons l'hypothèse d'une programmation génétique de certaines composantes du comportement humain, des résistances massives apparaissent subitement. Nous savons pourtant que l'homme a une histoire phylogénétique. Il semble donc pour le moins raisonnable de poser la question de savoir, si de manière similaire, l'homme ne serait pas jusqu'à un certain point préprogrammé par des adaptations phylogénétiques. Vérifier l'hypothèse de la programmation génétique de certains comportements humains nécessite plusieurs approches intra- et inter-culturelles.
Au sein d'une même culture, on peut observer les enfants qui se développent dans un certain état de privation. (Déb-cit)( 1974)()"Il en est ainsi, par exemple, des enfants qui sont sourds et aveugles de naissance. Ils grandissent dans l'obscurité éternelle et le silence éternel. S'il est vrai - comme l'ont dit à maintes reprises certains anthropologues et certains psychologues - que les expressions de notre visage, que tout notre répertoire comportemental sont transmis par la tradition, ces enfants devraient s'écarter considérablement des êtres humains normaux qui voient et ont la capacité d'entendre... Contrairement à notre attente, les expressions fondamentales du visage sont présent chez eux. Ces enfants rient, ils émettent les sons appropriés et ont les expressions appropriées, ils pleurent quand ils se font mal. Ils manifestent des accès de colère en fronçant les sourcils et en serrant les poings, etc... Il arrive même que certaines attitudes sociales se développent en dépit des efforts de l'éducateur. Ainsi, ceux d'entre vous qui sont familiers du développement de l'enfant savent qu'à un certain âge les enfants bien portants manifestent de la peur à l'égard des étrangers. Or ces sourds et aveugles de naissance distinguent par l'odorat les étrangers des personnes qu'ils connaissent, et à un certain âge ils manifestent de la peur envers les étrangers bien que tout le monde essaie d'être gentil avec eux, de leur donner un sentiment de sécurité. Mais c'est en vain. En fait, c'est simplement que la maturation s'effectue ainsi, et cette peur des étrangers se transforme à un âge plus avancé en une aversion agressive à l'égard des étrangers. Si un étranger cherche à approcher l'enfant, celui-ci se détourne tout en donnant des coups en direction de celui qui approche."[26](Fin-cit)
Dans notre schéma de "culturogenèse", nous mettons
en parallèle la phylogenèse et l'ontogenèse culturelles. L'observation d'un
stade de développement ontogénétique de rejet des étrangers suggère l'histoire
mythique de la "Tour de Babel". En
effet,
***Texte de recherche:
Afin de mieux comprendre le comportement humain et d'élaborer une
culture vraiment humaine, il est essentiel de répertorier les sous-boucles de
programmation génétique de l'être humain, notamment grâce à l'éthologie
comparée, l'ethnologie, l'anthropologie, la sociobiologie, la psychologie et la
psychanalyse (il y a sans doute d'autres sciences qu'il faut inclure). Voir mes
textes sur la double programmation.
Il s'agit ici d'esquisser un cadre conceptuel susceptible d'englober à la fois le comportement de l'homme et celui des autres mammifères. Le biologiste Michael CHANCE pense que (Déb-cit)()"L'inclusion de l'homme dans la biologie devrait constituer la condition préalable à l'unification de la culture."[29](Fin-cit) Cependant l'unification des diverses approches scientifiques de la culture et de l'homme exige beaucoup plus. Toutes les sciences qui s'occupent de l'homme, de son psychisme, de sa biologie, de son comportement, des collectivités humaines, etc. doivent collaborer. Dans notre propos qui concerne la double programmation humaine, nous devons envisager au minimum l'intégration de la biologie, de la sociologie et de la psychologie. Mais comme Gurvitch l'a déjà fait remarquer, pour aboutir à une collaboration fraternelle, efficace et fructueuse entre ces diverses sciences, et pour que toute arrière pensée impérialiste soit exclue d'un côté comme de l'autre, il faut les soumettre toutes trois aux affres, aux ordalies d'épuration anti-dogmatique, (Déb-cit)( 1962)"qui correspondent aux différents procédés opératoires de dialectisation sur lesquels s'appuie la dialectique empirico-réaliste."[30](Fin-cit)
Il nous faut donc intégrer, dans nos analyses sociologiques du comportement humain, les connaissances éthologiques des animaux en général, des mammifères et des primates en particulier.
Notre concept de programmation s'inspire de l'informatique, et du fait que dans ce domaine le programme peut être modifié, selon certaines modalités bien précises et d'une complexité assez impressionnante au premier abord :
1° Il faut connaître le fonctionnement de la machine
2° Il faut connaître le langage de cette machine
3° Il faut connaître le programme en cours
4° Il faut avoir accès au programme source
5° Il faut savoir ce que l'on veut reprogrammer!
Par conséquent, lorsque nous parlons de programmation, il ne s'ensuit pas inévitablement un déterminisme tel qu'il exclut toute notion de liberté. Bien au contraire, c'est l'action-réflexe spontanée qui devient l'acte le moins libre de l'être humain.
Lorsqu'un objet risque de frapper notre oeil, notre programmation génétique le protège automatiquement grâce à la fermeture extraordinairement rapide des paupières. Si des fumées nocives envahissent nos poumons, une programmation génétique nous fait tousser afin de les expulser rapidement. Dans ces cas effectivement, nos diverses programmations génétiques excluent pratiquement notre liberté d'action. Pourtant, malgré les programmes génétiques de protection, des millions d'hommes fument du tabac, du haschich, de l'opium par le moyen des cigares, cigarettes, pipes de tous genres. Dans cet exemple, le comportement de l'organisme parvient à désactiver progressivement les protections génétiques des organes, au risque de graves maladies. Pour un plaisir global ou cérébral (ayant souvent une dimension culturelle), l'individu humain provoque un déplaisir local d'un ou de plusieurs organes. Nous sommes ici en présence d'une dialectique d'antinomie au sein même d'un individu, qui oppose, selon notre vocabulaire, deux sortes de programmations. Ainsi, (Déb-cit)()()"Les nombreux éléments non génétiques servant à la mise en place du comportement humain s'opposent donc à l'affirmation d'un déterminisme totalement génétique... Toutefois, le fait qu'un comportement ne soit pas entièrement déterminé génétiquement n'entraîne pas qu'il soit complètement libéré de tout déterminisme."[31](Fin-cit)
Nous avons donc esquissé l'existence de deux pôles "comportementaux", connus déjà depuis longtemps sous d'autres appellations : corps-âme, corps-esprit pour le niveau individuel, nature-culture au niveau collectif.
Cette notion de pôles ne doit cependant pas faire croire à un dualisme; il s'agit de deux pôles au sein d'une unité, comme le globe terrestre possède deux pôles tout en restant une sphère unique.
(Déb-cit)"La plupart des
neurobiologistes (mais pas tous) reconnaîtront probablement que, du point de
vue qui nous occupe, le cerveau peut être considéré comme une machine dont les
propriétés ne vont pas au-delà des possibilités de la science. En outre,
personne ne conteste que l'ordinateur n'est rien d'autre qu'une machine! Selon
les goûts et les convictions de chacun, le cerveau et l'ordinateur sont, soit
fondamentalement similaires, soit radicalement différents; à mon avis, les
arguments rationnels ne trancheront pas la question.
Supposons que le cerveau et l'ordinateur soient tout deux des machines : en quoi peut-on les comparer? L'exercice n'est pas dénué d'intérêt... Les deux machines traitent de l'information et toutes deux fonctionnent au moyen de signaux qui sont, en gros, des signaux électriques... le fonctionnement du cerveau ne peut être comparé à un programme séquentiel linéaire, au moins pour les parties du cerveau dont nous savons quelques choses. On pourrait plutôt comparer le cerveau au circuit d'un appareil radio ou de télévision, ou peut-être à un ensemble comprenant des centaines ou des milliers de circuits de cette sorte, branchés en série et en parallèle et abondamment interconnectés. Il semble que le cerveau fonctionne grâce à un circuit en grande partie câblé et dont les éléments commutent à des vitesses peu élevées (de l'ordre du millième de seconde); l'ordinateur, quant à lui, dépend de programmes, possède beaucoup moins d'éléments et fonctionne plus rapidement."[32](Fin-cit) Dans cet article, l'auteur montre les points de comparaison et de différence entre l'ordinateur et le cerveau humain. Une chose est frappante : lorsque les neurobiologistes parlent du cerveau, ils excluent presque toujours l'aspect de la programmation humaine. Pourtant, le petit de l'homme passe plus de dix ans à auto-programmer culturellement son cerveau, par l'apprentissage de la bipédie, de la propreté corporelle, de la langue, de l'écriture, et de différents métiers et comportements sociaux. Bien entendu, il ne s'agit pas de programmation séquentielle linéaire![33]
(Déb-cit)()"Pour devenir membre à part entière d'un certain groupe culturel, le jeune homme adopte un certain nombre de comportements qui lui sont transmis par ses aînés. Ce processus rappelle à bien des égards celui de l'empreinte du monde animal. Il ne se produit qu'à une certaine période de la vie..."[34](Fin-cit)
(Déb-cit)()"Le processus d'acquisition par lequel l'adolescent entre en
possession de tout son héritage culturel se déroule comme tous les processus du
vivant, selon un programme déterminé phylogénétiquement. L'homme est de toute
façon phylogénétiquement construit de telle sorte que beaucoup de ses schémas
comportementaux et nerveux ne sauraient fonctionner sans le complément de
l'héritage culturel. La meilleure illustration nous en est sans doute fournie
par le centre du langage qui est un organe localisable né de l'évolution
historique et culturelle et qui ne peut entrer en action qu'à partir du moment
où le sujet lui fournit un système de symboles transmis traditionnellement.
L'origine phylogénétique des
processus d'acquisition en question transparaît on ne peut mieux au travers des
conditions qui doivent être remplies pour que le jeune individu puisse
reprendre à son compte les traditions de la civilisation dans laquelle il a
grandi. Même en ce qui concerne les jeunes gens les plus mûrs et les plus
intelligents, l'accomplissement du processus ne dépend pas tant de la valeur de
la tradition en question que de l'instauration d'un type de rapport
sociologique très précis entre celui qui reçoit l'héritage traditionnel et
celui qui le lègue. L'attachement profond à certaines normes culturelles ne
s'établit que si l'adolescent vit dans un rapport social étroit avec un ou
plusieurs de ses représentants, accomplit un certain nombre de tâches en
collaboration avec eux et surtout éprouve un profond respect pour eux.
Peut-être que, dans sa reconstitution de la figure archaïque du père, Sigmund
Freud a prêté à l'ancêtre de la horde originelle trop de traits empruntés au
dieu Cronos dévorant ses enfants; il n'en reste pas moins que le représentant
du sur-moi dont le jeune homme est sur le point d'adopter les normes
comportementales doit lui inspirer sinon de la crainte du moins
l'inconditionnelle reconnaissance de sa supériorité hiérarchique."_(Fin-cit)
Dans le processus de programmation culturelle, il faut cependant respecter la programmation phylogénétique de l'espèce humaine. On pourrait comprendre la démotivation d'un grand nombre d'étudiants et d'écoliers dans l'inadéquation des deux programmations humaines[35], provoquant au minimum des fatigues psychiques préjudiciables à la programmation psycho-sociologique, et dans certains cas le suicide des adolescents stressés. De plus la transmission culturelle actuelle favorise la mémorisation de connaissances techniques, et limite à l'extrême la programmation du comportement sociologique.
Le concept de double programmation humaine nous semble opératoire, car (Déb-cit)()"Il faut remarquer que, de tous les êtres vivants, l'Homme est le seul à posséder une double "carte d'identité". - Comme toutes les autres espèces, l'Homme peut être identifié par un ensemble de caractères anatomiques qui lui sont propres ou qu'il partage avec d'autres formes du même rameau (du même phylum). L'Homme, partie intégrante du monde vivant, peut entrer dans la classification zoologique, au même titre qu'un Scarabée ou une Mouette. - Seul de toutes les formes vivantes, il peut être identifié par ses facultés intellectuelles. L'Homo est sapiens. C'est là toute l'originalité de l'hominisation."[36](Fin-cit). Cette notion de double carte d'identité, de deux pôles comportementaux, nous contraint logiquement à conclure à la double programmation du comportement humain.
(Déb-cit)()"Si l'animal humain connaît encore de nombreuses pulsions internes, exprimées par voie physiologique, et des séquences motrices qui dépendent étroitement de son patrimoine génétique, il reste que l'ensemble de son comportement est largement conditionné par son apprentissage. Est-ce à dire qu'avec les Mammifères supérieurs, l'Homme a abandonné une programmation génétique pour une programmation culturelle, plus labile, permettant l'hérédité de caractères acquis et donc une évolution accélérée ?"[37](Fin-cit)
(Déb-cit)()"Pour nous résumer : l'animal humain éprouve deux
catégories de besoins. Les premiers ont leur source dans sa condition animale,
cet aspect de lui que nous avons appelé la conception adamique de l'homme; ils
sont centrés sur la protection contre la perte de la vie, la faim, la douleur,
la privation sexuelle et autres instincts primaires, outre l'infinie diversité
des frayeurs acquises qui deviennent inhérentes à ces instincts. L'autre aspect
de la nature de l'homme, selon le concept d'Abraham, est le besoin contraignant
de réaliser ses propres possibilités dans un développement psychologique
continu. Il y a peut-être des lueurs primitives de la caractéristique d'Abraham
dans les espèces sub-humaines. De récentes expériences sur les instincts
d'exploration, de curiosité et de manipulation chez les animaux laissent
prévoir de telles possibilités.
Pour bien comprendre l'homme, il faut avoir sans cesse dans l'esprit que ces deux caractéristiques ont des origines biologiques, psychologiques et existencielles distinctes."[38]
"On peut schématiser les besoins fondamentaux de l'homme sous forme de deux flèches parallèles orientées dans deux directions opposées. L'une d'elle représente sa nature animalo-adamique luttant pour se soustraire aux maux suscités par le milieu - et pour l'homme, c'est le milieu psychologique qui est la source des plus grands malheurs. L'autre flèche représente la nature humano-abrahamique de l'homme qui consiste à s'actualiser le plus complètement possible, c'est-à-dire à atteindre tout le développement psychologique dont il est capable par ses accomplissments."[39]
Animal-Adam - Echapper aux maux dus au milieu
Humain-Abraham - Aspirer au développement par ses accomplissement
(Fin-cit)
La majorité des penseurs et chercheurs ont une tendance naturelle à opposer le génétique au culturel, privilégiant le concept de rupture au lieu de constater la continuation du génétique par des moyens culturels. Langaney souligne néanmoins que l'homme (Déb-cit)()"ne se débarrassera pas pour autant des mécanismes puissants que sont ses pulsions. Il le fera d'ailleurs d'autant moins que, dans le domaine de la sexualité au moins, il est, par la fréquence de ses pratiques et l'intérêt qu'il y porte, beaucoup plus actif que les autres Mammifères dont les activités sexuelles sont, la plupart du temps, saisonnières ou très espacées."[40](Fin-cit)
On peut donc admettre que les pulsions dont parle Langaney, sont soumises, premièrement à la programmation génétique, puis secondairement à la programmation culturelle. Tout se déroule normalement bien lorsque la programmation culturelle respecte la programmation génétique. Par exemple, l'institution du mariage, programmation culturelle, permet la sexualité, programmation génétique. En revanche, des problèmes dangereux se posent dans le cas contraire.[41]
L'être humain possède donc la particularité d'être soumis à une double programmation :
1. La programmation psycho-génétique (gènes, instincts, ça).
2. La programmation psycho-sociologique (culture, surmoi, moi).
Notre hypothèse de la double programmation du comportement humain se base aussi sur les travaux de Mac Lean et ses études sur le cerveau humain. Leroi-Gourhan observe que : (Déb-cit)()"De l'animal à l'homme, tout se passe sommairement comme s'il se rajoutait cerveau sur cerveau, chacune des formations développée la dernière entraînant une cohérence de plus en plus subtile de toutes les formations antérieures qui continuent de jouer leur rôle."[42]
L'esprit humain possède une tendance très nette à la binarité. Ainsi, certaines formes de la mentalité primitive, comme des formes d'oracles, reposent sur le système binaire. Par exemple : (Déb-cit)()()"on veut savoir qui a commis un crime chez Israël, d'un côté on met le roi et sa famille, et de l'autre côté on met tout le reste du peuple d'Israël. Le sort tombe sur le roi et sa famille: de nouveau on fait fonctionner le système."[43](Fin-cit)
Mais le principe de la binarité se retrouve aussi dans le fonctionnement du psychisme de l'homme moderne. Bien des gens sont manichéens et même des chercheurs tendent à la simplification dualiste. Ainsi (Déb-cit)()()"On sait que la théorie des pulsions chez Freud reste toujours dualiste; le premier dualisme invoqué est celui des pulsions sexuelles et des pulsions du moi ou d'autoconservation... Le dualisme pulsionnel introduit par (1920) oppose pulsions de vie et pulsions de mort."[44]
On peut dès lors comprendre la projection du fonctionnement psychique dans le fonctionnement des ordinateurs. Le choix de la binarité n'est pas dû principalement à la logique interne de l'informatique, mais bien plutôt à celle du psychisme humain. Nous avons ici un exemple de compromis entre deux logiques en rapport dialectique.
Pour mieux saisir et conceptualiser le fonctionnement du psychisme humain, nous utilisons la richesse de l'analogie en comparant la programmation comportementale humaine et la programmation informatique. Il ne s'agit pas de réduire le comportement humain à la robotique, mais de saisir la projection des capacités du psychisme humain dans les potentialités des ordinateurs et des divers robots. L'homme invente par rapport à lui, à son corps, à son cerveau, et à leur fonctionnement respectif. Nous trouvons donc forcément de "l'humain" dans l'informatique, et dialectiquement, de l'informatique dans l'humain. C'est donc ce transfert de capacités vivantes et particulièrement humaines dans des machines qui nous intéressent directement. On peut même se poser la question de savoir si, dans le long terme, l'homme parviendra à transférer dans des supports non-biologiques les qualités du biologique telles que reproduction[45], activité autonome créatrice[46], auto-alimentation en énergie, notamment solaire[47], auto-réparation de leurs organes mécaniques[48], etc.
Ce serait d'ailleurs un juste retour des choses, puisque depuis l'avénement de la révolution insdustrielle, l'homme était utilisé comme un vulgaire robot!
Comparaison préliminaire très simplifiée
Programmation
humaine Programmation
informatique
1. corps (neurones, cerveau) matériel, puce, carte, etc.
2. psychisme programmes
3. compatibilité ou non entre compatibilité ou non entre
somatique et psychique matériel et programme
Concept
freudien Equivalence
informatique
()ça ROM
()surmoi RAM
()moi écran de visualisation, imprimante, ou autre
Dianétique
Mental réactif
Mental analytique
Circuit démon
La psychanalyse (ou micropsychanalyse, cri primal, etc.) permet à l'être humain qui utilise cette technique de comprendre peu à peu sa propre programmation consciente et inconsciente. Certaines techniques vont même plus loin que la simple compréhension; grâce à elles, l'individu peut retoucher, corriger sa propre programmation psychique, en s'autoprogrammant de nouvelles boucles de réponses comportementales.
Le psychanalyste est un être humain qui a étudié la programmation psychique, d'abord et prioritairement sur lui-même, puis au travers de la littérature psychanalytique. Il affine progressivement ses connaissances dans les séances d'analyses d'autres personnes. Son rôle, lors du travail d'analyse est de sortir le client ou patient d'une boucle sans fin de programmation psycho-sociologique, qui entrave la suite du travail. Cela s'appelle une intervention : par une simple question, parfois une très courte explication, l'analyste réengage le client dans le processus d'analyse de sa programmation psycho-culturelle et psycho-génétique.
On peut ainsi comprendre pourquoi le temps d'une psychanalyse est si long. L'une des raisons gît dans l'extrême longueur du programme culturel humain, et l'autre raison, dans les résistances opposées par le psychisme à une telle investigation. L'informatique peut nous faire saisir le pourquoi de la résistance : lors qu'un programme tourne, on ne peut toucher à sa programmation. Si l'on veut changer des commandes, il faut arrêter le programme, ce qui rend l'ordinateur complètement passif. Il ne peut plus remplir ses diverses fonctions. Lorsqu'un individu est en psychanalyse, surtout dans la technique de micropsychanalyse, il lui faut aussi arrêter beaucoup de choses. Il lui est conseillé de tout arrêter pendant au moins six mois. Ceci est compréhensible et même judicieux, car il ne fonctionne plus aussi bien qu'auparavant, ou encore plus mal. Ce fait, immédiatement enregistré par l'entourage familier du client, fortifie les préventions des gens dits normaux. Un tel qui fait actuellement une psychanalyse va encore plus mal qu'avant! Vous vous rendez compte, et au prix de l'heure de séance, c'est vraiment de l'escroquerie. Ces personnes oublient simplement qu'une voiture en réparation ne doit pas être utilisée, qu'un programme d'ordinateur en cours de vérification ne fonctionne plus, qu'un être humain en analyse ne vit plus normalement.
(Déb-cit)()()Le ça est l' "Une des trois instances distinguées par Freud dans sa deuxième théorie de l'appareil psychique. Le ça constitue le pôle pulsionnel de la personnalité; ses contenus, expressions psychiques des pulsions, sont inconscients, pour une part héréditaires et innés, pour l'autre refoulés et acquis. Du point de vue économique, le ça est pour Freud le réservoir premier de l'énergie psychique; du point de vue dynamique, il entre en conflit avec le moi et le surmoi qui, du point de vue génétique, en sont des différenciations."[49](Fin-cit)
Notre concept de programmation psycho-génétique du comportement humain repose partiellement sur la notion freudienne du ça. En effet, le pôle pulsionnel de la personnalité résulte directement de la programmation psycho-génétique. Contrairement à Freud, nous pensons que le ça ou programmation comportementale génétique, possède un mode d'organisation et une structure interne spécifique. C'est la programmation génétique qui nous ordonne de rester en vie, de procréer, de défendre son territoire individuel comme c'est le code génétique qui oblige le coeur à battre des milliards de fois tout au long de l'existence individuelle, aux poumons de respirer, etc. Le ça n'apparaît chaotique que si on le compare à l'ordre conventionnel et arbitraire imposé par le niveau d'intégration sociologique et intégré progressivement par l'organisation du moi. Il convient de souligner que (Déb-cit)()"Freud reprend, à propos du ça, la plupart des propriétés qui définissaient, dans la première topique, le système Ics et qui constituent un mode positif et original d'organisation : fonctionnement selon le processus primaire, organisation complexuelle, stratification génétique des pulsions, etc."[50](Fin-cit) En effet, la programmation génétique donne toujours un comportement inconscient, car le comportement humain ne devient () conscient que dans le rapport dialectique conflictuel entre la programmation génétique et la programmation sociale.
En revanche, nous mettons la composante freudienne du ça résultant de contenus refoulés et acquis dans la programmation psycho-sociologique.
Le moi est une instance que Freud, dans sa seconde théorie de l'appareil psychique (1920), distingue du ça et du surmoi. (Déb-cit)()()"Du point de vue topique, le moi est dans une relation de dépendance tant à l'endroit des revendications du ça que des impératifs du surmoi et des exigences de la réalité. Bien qu'il se pose en médiateur, chargé des intérêts de la totalité de la personne, son autonomie n'est que toute relative."[51](Fin-cit) Dans notre perspective de double programmation comportementale, le moi est le champ de forces socio-génétiques littéralement créé par chaque individu humain vivant[52]. L'un des pôles est la programmation culturelle, l'autre pôle est la programmation génétique.
(Déb-cit)()()"Le moi est décrit par Freud comme une organisation de neurones (ou, traduit dans le langage moins physiologique utilisé par Freud dans d'autres textes, une organisation de représentations) caractérisée par plusieurs traits : frayage des voies associatives intérieures à ce groupe de neurones, investissement constant par une énergie d'origine endogène, c'est-à-dire pulsionnelle, distinction entre une partie permanente et une partie variable."[53](Fin-cit)
Ainsi, (Déb-cit)()()"le moi apparaît comme le produit d'une différenciation progressive du ça résultant de l'influence de la réalité extérieure; cette différenciation part du système Perception-Conscience, comparé à la couche corticale d'une vésicule de substance vivante : le moi «..s'est développé à partir de la couche corticale du ça qui, aménagée pour recevoir et écarter les excitations, se trouve en contact direct avec l'extérieur (la réalité). Prenant son point de départ dans la perception consciente, le moi soumet à son infl»ence des domaines toujours plus vastes, des couches toujours plus profondes du ça»."[54](Fin-cit)
Le moi peut alors être défini comme un véritable organe qui, quels que soient les échecs effectifs qu'il connaisse, est, dans son principe, en tant que représentant de la réalité, destiné à assurer une maîtrise progressive des pulsions : (Déb-cit)()()"Il s'efforce de faire régner l'influence du monde extérieur sur le ça et ses tendances, il cherche à mettre le principe de réalité à la place du principe de plaisir qui règne sans restriction dans le ça. La perception joue, pour le moi, le rôle qui revient à la pulsion dans le ça. Comme Freud l'indique lui-même, la distinction du moi et du ça rejoint alors l'opposition entre raison et passions."[55](Fin-cit)
(Déb-cit)()()Le surmoi est "Une des instances de la personnalité telle que Freud l'a décrite dans le cadre de sa seconde théorie de l'appareil psychique : son rôle est assimilable à celui d'un juge ou d'un censeur à l'égard du moi. Freud voit dans la conscience morale, l'auto-observation, la formation d'idéaux, des fonctions du surmoi."[56](Fin-cit)
Avec la notion de surmoi, nous nous trouvons au coeur de la dialectique : programmation sociologique-programmation génétique. Dans notre perspective sociologique, le surmoi est une formation réactionnelle du psychisme de l'individu à la pression agressive de la programmation culturelle contre la programmation génétique, particulièrement lors de l'apprentissage de la propreté, puis dans ses manifestations sexuelles. Dans ces deux domaines, l'individu humain, contrairement aux animaux, ne peut plus laisser s'exprimer librement sa programmation génétique. On pourrait supposer qu'un des facteurs de l'apparition de la conscience humaine soit lié à cette répression de la sexualité, notamment par l'apparition d'une sous-boucle comportementale d'auto- observation des ses pulsions internes et des réactions sociales à certaines manifestations corporelles dues à la programmation génétique. Une répression sociale, même embryonnaire et sporadique, peut provoquer une auto- observation embryonnaire et sporadique elle-aussi, que la dynamique dialectique tend progressivement à imposer d'une façon constante. L'éthologie animale nous confirme que les animaux hiérarchiquement dominés sont constamment sur leur garde par rapport aux animaux dominants de leur même espèce. Ainsi, les mouvements sporadiques des dominants entraînent une attention constante des dominés qui craignent une punition des dominants, s'ils ne leur cèdent leur place, par exemple. Le surmoi humain est une mémorisation encore plus élaborée des contraintes sociales, mais le mécanisme est le même.
Dans notre approche sociologique de l'analyse du processus de programmation psycho-sociologique, nous avons dû nous référer assez longuement aux travaux des psychanalystes; ces derniers ayant accompli un travail considérable de recherches, de descriptions et de compréhension du psychisme humain, dans sa dimension non pas neurologique ou en terme d'informatique, de hardware, mais de software, de logiciel, ou de programmation comportementale.
En revanche, la faiblesse de l'approche psychanalytique est souvent son réductionnisme psychologique, qui privilégie le pôle individuel et réduit la société à l'extérieur, à la réalité, sans observer le rapport dialectique entre l'individu et la société, entre le psychisme individuel et la mentalité collective. Pourtant ()Freud[57] fut déjà incité à faire intervenir la réalité, non plus seulement comme donnée extérieure dont l'individu doit tenir compte pour régler son fonctionnement, mais avec tout le poids d'une véritable instance opérant dans la dynamique du conflit.
Cette démarche des analystes se comprend aisément, car ils privilégient l'aspect médical de leur travail. En revanche, pour le sociologue, cette approche individuelle n'est pas suffisante pour saisir le processus d'acculturation ou d'hominisation que chaque individu traverse au cours de son ontogenèse culturelle. Il devra analyser avec soin les interactions psychososiologiques entre les mentalités collectives et la personnalité de base[58] pour bien comprendre la dynamique de la culturogenèse.
Notre hypothèse que le programme culturel est la continuation du programme génétique par d'autres moyens fait apparaître une problématique nouvelle entre les deux programmations de l'être humain.
En effet, des problèmes peuvent apparaître lorsque ce n'est plus les géniteurs (et plus particulièrement la mère) qui enseignent à l'enfant. Tant que la transmission culturelle se fait directement par les parents, l'adéquation entre le programme génétique et le programme culturel est presque parfait. Les expériences des parents concernent leur propre corps, leur propre psychisme; par conséquent, leur culture correspond à leur identité profonde. Ils transmettent à leur progéniture une programmation culturelle en accord avec leur programmation génétique.
Ce n'est plus le cas lorsque l'enseignement échappe à la famille au profit de la société. Prenons, par souci de clarté, un exemple extrême, mais qui existe cependant: les parents, ayant recouru à la sexualité pour procréer, pourraient difficilement justifier, devant leurs propres enfants, l'interdit des rapports sexuels. Mais dans une école de religieux, où la transmission et la reproduction culturelle font l'économie de la sexualité, cette dernière se trouve fréquemment proscrite. Les enfants, puis surtout les adolescents, se trouvent alors confrontés à une contradiction dramatique : leur programmation biologique leur impose des besoins sexuels, violemment réprouvés par la programmation culturelle de certaines institutions religieuses. La solution à ce dilemme varie selon le tempérament de chaque individu. Habituellement l'une des programmations s'impose, produisant dans les cas extrêmes soit un névrosé, soit un criminel, après un long temps d'incertitude perturbant complètement le psychisme de l'individu soumis à deux programmations contradictoires. Il n'est donc pas du tout certain que l'on puisse greffer n'importe quelle programmation culturelle sur n'importe qu'elle programmation génétique.[59]
Les remarques ci-dessus peuvent faire comprendre, dans une certaine mesure, la résistance extrême de certains groupes bio-culturels (Juifs, Palestiniens, Arméniens, Bretons, Basques...). Ces groupements humains ont développé au cours de leur évolution biologique leur propre culturogenèse, particulièrement adaptée à leur psychisme. Dans ce cas, la plus grande harmonie entre le développement génétique et le développement culturel pourrait être un des facteurs explicatifs des taux différentiel de suicide. On peut encore remarquer qu'inconsciemment, ces groupes refusent le mélange génétique [60], en refusant les mariages mixtes par exemple; ainsi les processus de la culturogenèse tendent à répéter ceux de la biogenèse. 2.8. Sexualité et double programmation
Dans les relations homme-femme, la double programmation pose un problème comportemental. En effet, la vie de couple impose une élasticité psychique très importante, car l'homme et la femme doivent se comporter en société selon leur programmation psycho-culturelle, et dans leur foyer, à certains moments bien précis, selon leur programmation psycho-biologique. On imagine mal les gens que l'on rencontre socialement, ou mieux encore, ceux qui sont les représentants de l'autorité[61], effectuer des actes purement biologiques, comme l'évacuation des excréments et de l'urine, ou la copulation. Ces actes, pourtant répétés quotidiennement par le Président, le Roi, ou n'importe quelle autorité, sont habituellement refoulés par la grande majorité des citoyens.
La sexualité se situe à un endroit charnière entre la programmation biologique et la programmation sociologique. Certains cas d'impuissance masculine, comme de frigidité féminine, pourraient s'expliquer selon notre hypothèse de la double programmation. En effet, la sexualité impose le passage de la programmation psycho-sociologique à la programmation psycho-génétique. L'homme, ou la femme, ne pouvant quitter leur programmation psychosociologique, percevront alors les actes qui entourent la copulation comme dégoûtants. Ainsi, le partenaire sexuel qui ne peut entrer dans la programmation biologique lors de l'acte sexuel, percevra l'autre qui s'y trouve comme bestial, et progressivement le rejettera socialement par l'acte du divorce. Les pulsions d'amour sublimées s'avèreront souvent insuffisantes pour maintenir la cohésion des membres d'un couple qui ne parviennent pas à synchroniser leur double-programmation respective. On peut aussi trouver l'inverse dans le cas d'une entente biologique, mais d'une incompatibilité psycho-sociologique complète.
Dans le cas de l'incompatibilité biologique, il faut vérifier si c'est l'élasticité psychique d'un des partenaires qui est en jeu, et dans ce cas, procéder à des exercices d'assouplissement psychique pour le partenaire rigide, et éventuellement donner quelques conseils pratiques à l'autre partenaire, afin qu'il se montre plus expert pour provoquer le passage de la programmation sociologique à la programmation biologique. C'est d'ailleurs ce que font actuellement, mais empiriquement, les sexologues ou autres personnes qui s'occupent des problèmes sexuels. On peut remarquer que l'emploi de l'alcool, les lieux de danse, ou encore le fait d'offrir un repas sont des rites ou techniques particuliers pour changer en douceur de programmation. En terme de double programmation comportementale, le viol trouve l'homme en programmation biologique et la femme violée en programmation sociologique. Cette dissymétrie se retrouve généralement dans la prostitution.
(Déb-cit)()()"La caractéristique essentielle de l'Homme est précisément le
culturel le plus élevé, où non seulement le comportement est élaboré par voie
culturelle, avec intervention majeure de la parole, mais encore toutes les
connaissances sont transmises de même, la parole étant prolongée par des signes
écrits et par de nombreux codes de communication. Chez l'Homme, le culturel
change d'échelle : il envahit tout. Cela va si loin que ce culturel peut
dominer divers éléments physiologiques, anatomiques et même génétiques.
C'est ce que montrent les singuliers résultats de l'étude et du traitement d'enfants nés intersexués par suite d'un accident hormonal (John Money). Le point de départ de ces enfants est à peu près le même pour tous. On est parvenu à élever les uns en filles, les autres en garçons, avec un traitement adéquat, de sorte qu'ils ont pu trouver une insertion sociale et mener une vie sexuelle pratiquement normale, dans le sexe dans lequel ils ont été élevés. Les conditions du succès tiennent beaucoup à la qualité du milieu familial de ces enfants et à la netteté de l'option sur leur sexe; toute remise en cause tardive de ce sexe, par exemple à la puberté amène de graves perturbations. La réorientation sexuelle, même à l'opposé du sexe génétique, peut être menée à bien, à condition d'être mise en oeuvre avant l'âge de deux ans. Cela nous montre combien l'élément culturel est prépondérant dans la construction des conduites humaines : ici l'aspect sociologique du sexe peut être réalisé en contradiction avec ses trois autres aspects, généralement déterminant, les aspects chromosomique, anatomique et physiologique."[62](Fin-cit)
$$$Nous allons donner quelques exemples significatifs de programmation psycho-sociologique et psycho-génétique. Dans les processus de mémorisation, nous pouvons en distinguer les deux formes différentes :
- mémorisation des noms des personnes de l'entourage (prog. psycho-sociologogique);
- mémorisation des visages des personnes de l'entourage (prog. psycho-génétique).
En effet, la mémorisation des noms utilise le langage parlé, qui est un processus psycho-sociologique, et nécessite un apprentissage. Les parents exigent souvent de leurs enfants qu'ils saluent les voisins par leur nom de famille.
En revanche, la mémorisation des visages ne fait l'objet d'aucun apprentissage psycho-sociologique. A partir d'un certain âge l'enfant reconnaît les visages "naturellement". C'est un processus "inné", comme d'ailleurs la reconnaissance des odeurs.
Il existe aussi les cas d'incompatibilité entre la programmation culturelle et la programmation génétique.
Nous allons recenser les divers sous-programmes culturels que l'enfant "intériorise" et la manière dont il le fait.
En réalité, la mère de l'enfant propose, ou impose suivant les cultures, des comportements, qui sont de véritables programmations psychiques. Ces programmations deviennent, avec le temps, inconscientes. La marche ou l'écriture ne pose plus de problème pour l'adulte. Il n'y "pense" plus, fait qui démontre que le processus de contrôle de la marche ou de la course, sont devenus automatiques et inconscients.
En terme d'informatique, c'est la mère qui écrit la ligne de programmation, mais c'est l'enfant qui accepte ou non cette ligne de programmation. C'est lui qui presse le ENTER, et qui accepte d'intérioriser les commandes maternelle, familiale, scolaire, etc. Mais en cas de conflit entre sa programmation génétique et la programmation culturelle qu'il subit, l'enfant peut aussi, à l'insu de ses programmeurs, inventer des sous-programmes qui dissimuleront sous la réponse attendue, un traite ment personnel des ordres reçus par l'environnement social. Certains ordinateurs actuels refusent d'entrer des lignes fausses de programmation. L'enfant fait de même, mais il va plus loin: au lieu du bip agaçant pour le programmeur inexpérimenté, il se met d'abord à crier, à pleurer ou à trépigner de rage. Puis, si cette stratégie ne réussit pas, il va se programmer, souvent d'une façon inconsciente, des doubles-réponses, l'une sociale et l'autre individuelle (on retrouve le même schéma chez tous les hommes qui subissent une oppression : esclave, colonisé, prisonnier de guerre ou de droit commun). Apparaissent alors les techniques de dissimulation, dans l'attente de la vengeance. Heureusement pour les informaticiens, les ordinateurs ne se révoltent pas, mais on constate que dans la science-fiction, le scénario de la révolte des robots est très présent dans l'esprit humain. Il s'agit là d'une projection typique des pulsions humaines sur les machines. On peut même supposer que des humains introduiront dans les programmes d'informatique des possibilités de créer de nouveaux comportements. Le robot n'obéirait plus directement à son programme, mais au résultat de ses apprentissages successifs. On constate, dans la cybernétique, la même tendance évolutive que dans le domaine biologique, ce qui est normal, puisque les robots sont des créations d'êtres vivants, fait qu'il ne faut pas oublier. Notre comparaison du fonctionnement du cerveau et du psychisme humains avec l'informatique est renforcée par le fait que les inventeurs des ordinateurs ont commencé par analyser le fonctionne ment de l'intelligence humaine et ont essayé de l'imiter. Progressivement, la dynamique d'évolution de l'informatique s'autonomise, mais ressemble toujours au fonctionnement du cerveau humain.
Ci-après, nous donnons quelques exemples de programmation psycho-génétique et de programmation psycho-sociologique. Il semblerait utile de répertorier toutes les boucles de programmation humaine, en vue d'améliorer les connaissances dans les domaines de la psychiatrie, de l'éducation, de la législation, etc. Mais dans le cadre de ce travail, il s'agit simplement d'esquisser et de faire sentir la problématique spécifique de l'être humain, à savoir sa double programmation comportementale.
Programmation psycho-génétique
- L'enfant est programmé pour téter le sein maternel (ou son substitut, le biberon).
- L'enfant est capable de s'agripper à une main, un bout de bâton
- Il semble que le sourire soit aussi soumis à une programmation psycho-génétique.
- L'attraction sexuelle est aussi soumise à la programmation psycho-génétique, et le choix des partenaires est génétique, mais peut être perturbé par la programmation psycho-sociologique, proba blement dans une très faible mesure seulement.
- A partir d'un certain âge, l'enfant est capable de reconnaître le visage des familiers.
Programmation psycho-sociologique
- Une des premières choses que l'enfant doit apprendre, c'est la propreté. Il semble probable qu'un sous-programme génétique soit cependant à l'oeuvre au travers du culturel. En effet, chez bien des animaux nous retrouvons cet apprentissage de la propreté. Le corps lui-même a fait cet apprentissage; il créa même des organes d'expulsion pour les substances corporelles nocives à son fonctionnement; la même logique fonctionnaliste est sans doute à l'origine du comportement culturel de l'apprentissage de la propreté.
- L'enfant apprend à marcher sur ses deux pieds.
- L'enfant apprend à reconnaître les gens par leur nom.
- L'enfant à parler sa langue maternelle.
Il est intéressant d'étudier les enfants élevés par les animaux sauvages.[63]
L'hypothèse de la double programmation permet de comprendre pourquoi des individus de cultures différentes parviennent finalement toujours à communiquer : en effet, s'il ne peuvent plus communiquer au moyen de la programmation culturelle (langage ou écriture), ils peuvent réutiliser les gestes programmés génétiquement pour se faire comprendre (sourire pour communiquer une disposition amicale par exemple). Il est donc faux de croire que si les univers cognitifs sont différents, la compréhension inter-cultures devient impossible, car la pseudo-spéciation culturelle émane toujours de la programmation génétique.
Au niveau épistémologique Dan Sperber (1982, pp. 49-85) a fort bien mis en évidence les difficultés que soulève le slogan relativiste selon lequel "des individus de culture différente vivent dans des univers culturels différents". En effet, si l'on s'en tient à l'impossibilité de rendre compte des croyances "irrationnelles", sous prétexte qu'elles renvoient à des structures cognitives différentes parce que culturelle ment déterminées, on commence par ruiner la possibilité même d'une démarche anthropologique; ensuite, affirme Sperber, on est contraint de postuler un modèle de psychologie génétique extrêmement complexe qui ferait alors appel pour une très large part à des hypothèses innéistes... Cette affirmation de Sperber ne nous paraît pas déterminante. En effet, à la lumière des travaux de J. Piaget, les structures cognitives se construisent au cours de l'interaction qui se produit entre un sujet et son environnement. Certes, on peut s'attendre à ce que l'enfant, à partir d'un certain âge, passe du "stade" des représentations imagées à celui des opérations scientifiques, ou rationnelles. Or la théorie piagétienne n'implique aucun "innéisme" particulier." (Texte de RIST, étudié au cours d'Anthropologie économique avec Sabelli).
Notre hypothèse de la double programmation peut désormais se passer de raisons épistémologiques dans le problème des communications interculturelles, puisque tous les hommes parlent un même langage fondamental : le langage "physiologique", que nous distinguons du langage gestuel conscient, élaboré partiellement lors de la culturogenèse.
Nous pourrions dire, en première approche, que le langage physiologique est un langage universel utilisé par les organismes vivants. Ce langage universel se spécialise progressivement au travers des divers phylums. Ainsi, nous supposons l'existence d'un langage mammalien, que tous les mammifères comprennent. Par exemple, lorsqu'un mammifère quelconque veut signifier sa colère, et son attaque probable, il commence par découvrir ses canines, hérisser ses poils et émettre des sons désagréables. Ces trois caractéristiques fondamentales se retrouvent dans le langage culturel humain (montrer les dents, dresser les cheveux sur la tête, engueulade). L'expression psycho-génétique de "montrer les dents" s'est transférée sémantiquement dans le vocabulaire psycho-sociologique : si l'expression verbale "montrer les dents" n'est comprise que par les gens qui connaissent la langue française, en revanche l'expression du visage est immédiatement comprise par n'importe quel homme lorsqu'il voit chez l'autre un rictus de colère. Dans ce cas, un traducteur n'est absolument plus nécessaire. Le concept de langage physiologique permet ainsi de comprendre le processus de communications inter-espèces et inter-cultures.
En effet, les éthologistes qui étudient le comporte ment "physiologique" des animaux et des hommes, "ont remarqué que les primates hominisés et les primates sub-humains subissent des transformations physiologiques remarquablement similaires. Autrement dit : lorsque la colère s'empare des hommes leur organisme biophysiologi que subit une série de mutations qui sont souvent identiques, parfois simplement similaires aux mutations vécues dans des circonstances analogues par les primates sub-humains. Chez l'homme comme chez le primate sub- humain le pouls s'accélère. La circulation périphérique devient plus rapide. Le taux de glucose du sang et la tension artérielle s'élèvent. Le rythme respiratoire devient plus rapide, les muscles des membres et du tronc se contractent plus intensément et sont moins sensibles à la fatigue. Le sang se détourne des organes internes. La digestion et les contractions intestinales s'arrêtent. La sécrétion d'acide et de suc grastrique augmente. La colère provoque également une diminution de la sensibilité. Les combattants peuvent recevoir des blessures graves sans s'en apercevoir. Une fois déclenchée, la colère met un certain temps à s'apaiser, surtout si l'individu n'a pas été en mesure de donner libre cours à l'effort physique pour lequel son corps s'était prépa ré." (ZIEGLER, pp. 87-88. S'est référé à STORR, 1969, et LORENZ, 1969).
D'autres auteurs (notamment EIBL-EIBESFELDT) ont montré que des comportements comme le sourire, les gestes d'embarras, le regard de flirt, la dilatation des pupilles notamment, se retrouvent sous la même forme, ou de légères variantes, dans toutes les sociétés humaines. Nous pouvons donc considérer ces expressions comme étant fondamentalement du langage physiologique, reprises et affinées par le palier d'intégration sociologique.
La communication mère-nourisson ressemble, dans sa
dynamique, aux communications interculturelles et inter espèces. Ces trois
communications commencent toujours par la communication physiologique, puis
psycho-génétique, avant de pouvoir communiquer sur un mode psycho- sociologique.
Dans notre schéma de la culturogenèse, le langage physiologique est le mode
communicationnel utilisé par l'enfant (sourire, cris, pleurs), de sa naissance
au moment où il sait parler. C'est donc grâce à la programmation
comportementale génétique que "Tous les enfants viennent au monde avec la
capacité innée d'apprendre à parler. Quel que soit le comportement de leurs
parents, quelles que soient les structures de leur langue, ils passeront par
les mêmes étapes clefs." (
La psycholinguistique, née au début des années 1960 de
l'union de la psychologie et de la linguistique, montre en quoi l'acquisition
de la langue par l'enfant reflète l'évolution des langues au cours du temps.
Par exemple, "On a pu montrer que les préfixes et les suffixes étaient, à
l'origine, des mots pleins et significatifs. Ils ont été peu à peu contractés
pour être adjoints à d'autres mots de manière à les modifier. Ainsi, la marque
grammaticale de l'objet direct provient en chinois et dans certaines langues
africaines, de la contraction de verbes voulant dire prendre ou tenir. Ces
verbes traduisent, bien entendu, la même notion fonda mentale que nous avons
analysée dans le langage enfantin. En mandarin, donc, l'utilisation de
"prendre" pour marquer l'objet direct est limitée, comme dans le
kaluli ou le russe enfantin, aux actions physiques et directes. Il ne peut être
appliqué à des verbes du type "voir", "entendre" ou
"lire", où l'action n'est ni directe ni physique. Nous entrevoyons là
un aspect primordial de l'universalité du langage: un même noyau fondant
l'évolution historique et l'acquisition psycholinguistique par l'enfant."
(
(NP) Il y a plusieurs points à clarifier : Il me semble que les divers "stades" observés par Piaget ont un substrat biologique. Un jeune singe, mis exactement dans les mêmes conditions environnementales, ne passera pas tous les stades d'évolution de l'enfant. (cf. les dessins fait par des singes, Desmond Morris). Il y a donc des fondements biologiques "innés" aux comportements de l'enfant.
Sabelli a mentionné des travaux de Lévy-Bruhl, ou Lévy-Strauss, sur l'hypothèse d'une "nature psychique hu maine" homogène à tous les hommes.
Certaines formes de contrôle social semblent assujet ties à
la programmation comportementale génétique, car nous les retrouvons dans quasiment
toutes les cultures humaines, amplifiées par la programmation comportemen tale
sociologique. Dans l'apprentissage de la langue maternelle, "Les faits
sont clairs: les parents préoc cupés généralement de dialoguer le mieux
possible avec leurs enfants, ne corrigent que rarement leurs fautes
grammaticales. Les erreurs des enfants passent inaper çues, des parents et
d'eux-mêmes. Aux Etats-Unis, Roger Brown et ses collaborateurs ont suivi le
développement du langage chez plusieurs enfants, pendant plusieurs années. Ils
ont régulièrement enregistré les dialogues parents-enfants à raison de deux
séances par semaines et dans leur milieu habituel. Les résultats sont tout à
fait nets: l'approbation ou la désapprobation parentale est généralement
fonction de la valeur de vérité des expressions produites et de leur conformité
sociale. Ainsi, les expressions produites par les enfants sont approuvées
lorsqu'elles sont vraies ou socialement justes, indépendamment de leur forme
grammaticale. Cette dernière n'entre donc pas en jeu dans l'interaction
parents-enfants. Ceci rend légèrement paradoxal, comme le souligne R. Brown, le
résultat final de cet appren tissage: "un adulte, dont le langage est
grammaticale ment correct, mais pas totalement véridique..." Ce phénomène
n'est pas limité à notre culture occidentale. Comme le montrent nos
comparaisons interculturelles, les Mayas du Yucatan, les Luo du Kenya ou les
Samoans procèdent de même. Ils ne corrigent pas les fautes de grammaire de
leurs enfants, qui acquièrent leur langage à un rythme analogue au nôtre."
(
Lors des processus de reproduction des cellules, grâ ce à la
réplication du code génétique, de subtiles méca nismes vérifient l'exactitude
des copies, et éliminent quasiment toutes celles qui contiennent des erreurs.
"Lorsqu'une ADN polymérase copie une chaîne d'ADN, il lui arrive de
commettre des erreurs et d'incorporer dans la chaîne en croissance un
nucléotide incorrect... Toute une stratégie subtile est mise en oeuvre pour
résoudre ces difficultés. L'ADN polymérase est escortée par "une
patrouille" de protéines et d'enzymes capables de recon naître l'absence
d'appariement" (
Le contrôle social est un système analogue, dans sa fonction, aux processus cellulaires de contrôle de la réplication. Dans la reproduction sociale, il faut des instances de vérification des nouvelles unités pro duites : le petit de l'homme, produit primaire de la programmation génétique, et vérifié par cette dernière, va subir un deuxième niveau de programmation, culturelle cette fois-ci.
Cette programmation culturelle utilise surtout, au travers des appareils organisés, les réglementations sociales et les oeuvres culturelles (cf. Erard, Plan de Sociologie, points C.322, C.323 et C.324) pour maintenir une certaine homogénéité de la reproduction humaine. La religion et la magie ont beaucoup perdu de leur force coercitive, particulièrement dans les pays industriali sés, où c'est l'éducation qui a pris le relais au travers des stades de la scolarité, qui va du primaire, au secondaire, et à l'universitaire, pour aboutir à la formation permanente des adultes.
A l'état adulte, ce sont la presse, la radio et sur tout la télévision, qui maintiennent un véritable "champ de forces culturelles", si possible homogène. Chaque jour, il y a répétition de la programmation culturelle ambiante, qui ressemble à la ritualisation religieuse, ou même à une véritable intoxication culturelle. Les individus, soumis à ce bombardement d'"informations", ne réagissent plus intelligemment, mais quasiment "instinctivement". La programmation culturelle devient si prégnante qu'elle perd justement sa qualité première qui était la souplesse, l'adaptation, l'accommodation. Nous sommes à la limite de l'auto-intoxication
"L'intoxication consiste à faire croire à l'adversai re ce qu'il faudrait qu'il croie pour être toujours surpris par l'événement, par la réalité - pour avoir constamment une vue fausse de la situation - afin qu'il mène sa guerre ou sa politique en aveugle, puis en paralytique.
Cela tient donc dans le domaine intellectuel, celui des idées, de l'intelligence, mais c'est plus direct, plus rapide dans ses conséquences en cas de succès, plus agressif - dirais-je plus ambitieux - que la propagande, que l'action psychologique, que l'agitation politique subversive, que l'agit-prop russe et que la force persuasive du dollar, toutes ces pratiques étant apparentées à l'intoxication, mais différentes." (NORD, 1971, p. 23).
L'intoxication est donc destinée à tuer l'intelli gence des autres et à les transformer en automates. Et d'après nos observations, toute société a une tendance naturelle à l'auto-intoxication culturelle, utilisant notamment les techniques de saturation de la commu nication sociale.
L'école joue un rôle particulièrement important dans la programmation culturelle des individus. En effet, pendant au moins neuf ans, les jeunes gens sont soumis à une intense programmation, qui se fait sur deux regis tres essentiels : l'instruction et l'éducation, ou le savoir et sa structuration hiérarchique. L'instruction "remplit" le cerveau de données diverses, d'ailleurs souvent à contenu idéologique, et l'éducation "forme" sa structuration; ce deuxième aspect est fondamentalement de la programmation culturelle, qui se renforce à l'ar mée, et qui est renouvelée ensuite chaque jour par les mass media. On peut ainsi admettre que l'école est désormais un véritable organe social de programmation des psychismes individuels : que ce soit une école reli gieuse, laïque, militaire, ou autre.
"L'école est une institution éducative spécialisée et se distingue en cela de la famille, des clans familiaux, des lieux de travail, des communautés de métiers, d'associations et groupements de toutes sortes qui, eux aussi, façonnent les nouvelles générations et rééduquent même les adultes." (PETITAT, 1982, p. 323).
"Faut-il lier écoles et écriture? Ces deux créations
procèdent-elles des mêmes conditions?
"En résumé, l'école est une instance spécialisée dans l'éducation des nouvelles générations (son action s'é tend parfois aux adultes), dont la nécessaire création se fait sentir dès que la société atteint un niveau de division du travail impliquant l'usage de l'écriture, l'existence de l'Etat et l'émergence de grands groupes sociaux, plus étendus que les clans familiaux, tels que les castes, les ordres, les classes ou toute autre forme de classement dont l'histoire n'a pas épuisé l'inventai re. L'école se surimpose aux éducations de base (familiale, clanique, communautaire, etc.) fragmentées et éparpillées, contribuant ainsi à produire et reproduire une homogénéité culturelle impliquée par la division du travail (homogénéité des croyances religieuses, des règles juridico-administratives, définition culturelle écrite des élites, puis des autres classes sociales, homogénéité de la culture scientifique, etc.) et partiellement déterminée par les conflits sociaux et les rapports de domination. Les groupes dominants, qui parlent au nom de toute la société, qui identifient la survie de la société à la leur propre, jouent un rôle fondamental dans l'orientation des institutions scolaires, dans la sélection de leurs contenus symboliques, de leurs pratiques et de leurs publics. L'histoire nous enseigne cependant que ces groupes ne parviennent jamais à contrôler complètement une évolution qui leur échappe car elle procède de causes beaucoup plus générales que les rapports de domination ou les conflits sociaux." (PETITAT, 1982, p. 334).
Ainsi, les groupes dominants tentent constamment de contrôler la programmation culturelle des individus. Mais malgré tout, il existe toujours des interstices de liberté que les déviants, les novateurs et les marginaux de tous les temps utilisèrent avec plus ou moins de bonheur.
La double programmation humaine ne débouche pas forcément sur la liberté comportementale. En effet, les deux programmations peuvent parfaitement coïncider, et l'individu sera heureux, quoique n'ayant ni liberté, ni choix. Il sera inconscient de sa situation d'individu vivant. En quelque sorte, il sera au paradis.
La liberté humaine apparaît lorsque les deux programmations entrent en contradiction l'une avec l'autre.
Lorsque les différences entre les programmations sont minimes, l'individu opérera en lui-même un savant dosage comportemental, un compromis entre ses tendances biologiques et la programmation sociale.
Mais, si les divergences entre les deux programmations rendent impossible leur assimilation, l'individu devra choisir de favoriser l'une d'entre elle.[64]
Si la société possédait le monopole de la programmation comportementale, les individus qui lui contesteraient la primauté dans ce domaine, n'auraient aucune alternative à proposer.
Mais comme la programmation génétique existe, les individus conquièrent un avantage décisif sur la société, car ils sont en relation directe avec les sources mêmes de la vie, leur programmation génétique, expérience vitale de plusieurs milliards d'années accumulées en eux-mêmes.
La liberté humaine est donc possible essentiellement grâce à l'existence de la double programmation[65], qui permet parfois un choix conscient et individuel.
L'expérience sociale, vieille de quelques dizaines de milliers d'années, doit donc éviter toute arrogance et devrait se mettre à l'école de la vie, plutôt que de recourir à son impérialisme brutal habituel en face de ses déviants.
Nous avons vu que le petit de l'homme était soumis à un processus de double programmation. Progressivement, les adultes qui socialisent le jeune être humain doivent choisir entre imposer des modèles et des normes comportementales, ou laisser une certaine liberté dans les choix de l'individu. Dans la plupart des cas, l'obéissance, les comportements "normaux" sont la règle. Le cas le plus célèbre d'obéissance à la programmation culturelle est celui de Auteurs:Socrate, pour qui la collectivité prime l'individu : (Déb-cit)"aucune collectivité ne peut subsister sans un ordre juridique. Le premier devoir de l'individu est donc de le favoriser en ce qui le concerne et de ne jamais le compromettre, fût-ce pour un avantage personnel."[66](Fin-cit) Socrate, divinise les lois sociales, et à l'époque, il ne peut bien entendu faire une distinction entre les programmations génétique et culturelle. Il va donc jusqu'à penser qu'il doit sa vie physique à la société; pour lui, il est donc normal de se sacrifier pour l'ordre de la cité. Ainsi, il "vient d'être condamné à mort par une sentence injuste; ses amis ont tout préparé pour son évasion, et pas un Athénien ne l'eût trouvé moralement répréhensible de mettre à profit cette circonstance pour sauver sa vie. Mais il n'y a qu'une question qui compte pour Socrate: la fuite correspond-elle aux principes qu'il a soutenus durant sa vie ? Et il entend alors la voix des lois, qui lui par lent au nom d'Athènes: "C'est à nous que tu dois toute ton existence physique et spirituelle; tu nous dois beaucoup plus qu'à tes parents corporels. Cette dette à notre égard n'est pas détruite par le fait que dans ce cas particulier ta patrie te cause du tort. Même alors tu n'as pas le droit de rendre injustice pour injustice et, par ta participation à une fuite arbitraire, de détruire la valeur des lois sans lesquelles la cité ne peut subsister." Voilà qui éclaire Socrate sur ce qui est vraiment pour lui en ce moment le "bien", et sa décision est prise." (Ibidem, p. 80).
L'individu devrait donc se conformer aux habitudes, aux traditions, aux lois. Mais ces comportements "normaux" sont presque exclusivement répétitifs et ne permettent pas l'évolution de l'individu et de l'humanité. C'est pourquoi les créateurs et les grands scientifiques adoptent, pour la plupart, un préjugé favorable à la déviance, c'est-à-dire un comportement non programmé culturellement.
Nietzsche, plus de 2000 ans après, dira exactement le contraire de Socrate. "L'homme, même le plus nuisible, est peut-être encore le plus utile sous le rapport de la conservation de l'espèce; car il entretient en lui-même ou par son influence, chez autrui, des impulsions sans lesquelles l'humanité se serait relâchée et aurait pourri depuis longtemps." Le philosophe allemand va jusqu'à donner le conseil suivant : "Obéis à tes meilleures ou à tes pires convoitises, et avant tout: sois anéanti ! dans l'une ou l'autre alternative, d'une manière quelconque, tu resteras vraisemblablement un promoteur, un bienfaiteur de l'humanité, et, à ce titre, tu auras droit à tes panégyristes et pour autant aux quolibets de tes contempteurs! " (NIETZSCHE, 1882, p. 70).
Einstein pense de même : "Je ne crois pas à l'éducation. Ton seul modèle doit être toi-même, ce modèle fût-il effrayant."
Marcuse partage la même opinion : "Je voudrais dire deux mots sur le droit de résistance (qui) constitue l'un des éléments les plus anciens et sacrés de la civilisation occidentale. L'idée qu'il existe un droit supérieur au droit positif est aussi vieille que cette civilisation elle-même... L'ordre établit détient le monopole légal de la force et il a le droit positif, l'obligation même d'user de cette violence pour se défendre. En s'y opposant, on reconnaît et on exerce un droit plus élevé. On témoigne que le devoir de résister est le moteur du développement historique de la liberté, le droit et le devoir de la désobéissance civile étant exercé comme force potentiellement légitime et libératrice. Sans ce droit de résistance, sans l'intervention d'un droit plus élevé contre le droit existant, nous en serions aujourd'hui encore au niveau de la barbarie primitive" (MARCUSE, , p. 49).
Les surréalistes ont le mieux saisi toute l'importance, et le drame intérieur, de l'homme qui porte en lui les stigmates de la déviance, et aussi son apport à la culture humaine. Ils furent aussi les plus virulents dans l'exigence du droit à la déviance. Ils ont admira blement pressenti l'essence du processus culturel qui fait que "l'énormité devient norme" : "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que la quintessence. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le malade, le grand criminel, le grand maudit et le suprême savant! - car il arrive à l'inconnu! ... et quand affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé!" (Rimbaud, 1871).
Breton explique que : "La rébellion porte sa justifi cation en elle-même, tout-à-fait indépendamment des chances qu'elle a de modifier ou non l'état de fait qui la détermine. Elle est l'étincelle qui cherche la poudrière...". On peut généraliser la remarque de Breton à la déviance qui porte en elle-même sa justification : elle est par excellence une caractéristique humaine, c'est par la déviance que l'individu humain a quitté son animalité pour devenir progressivement Homme.
Fromm précise encore que la civilisation risque la mort à cause de l'obéissance aveugle des êtres humains. Les deux dernières guerres montrent à quel point les hommes peuvent obéir aveuglément, jusqu'à leur auto destruction. "Pendant des siècles, les rois, les prêtres, les seigneurs féodaux, les patrons de l'ère industrielle et les parents ont affirmé que l'obéissance est une vertu, et la désobéissance, un vice. En guise d'introduction à un point de vue différent, opposons à cette idée la proposition suivante : l'histoire de l'humanité a commencé par un acte de désobéissance, et il n'est pas improbable qu'elle se termine par un acte d'obéissance... L'homme de l'organisation a perdu la capacité de désobéir, il n'est même pas conscient du fait qu'il obéit. Au point de l'histoire que nous avons atteint, notre capacité de douter, de critiquer et de désobéir est sans doute le seul moyen d'éviter la fin de la civilisation et d'assurer l'avenir de l'humanité" (Fromm, 1963, p. 11).
Il s'agit donc de restituer à l'individu sa liberté créatrice, qui seule lui permettra, au cours de son ontogenèse culturelle, de relier harmonieusement ses deux programmations, génétique et culturelle. Lorsqu'on cherche à imposer la programmation sociale, nous aurons un individu dressé, plus proche du robot que de l'homme créatif. L'homme doit donc s'auto-programmer culturelle ment, car, comme pour la digestion des hors-d'oeuvres culinaires, il doit "digérer" les oeuvres culturelles. Il faut donc, à chaque génération, dédogmatiser, des tructurer et régénérer l'appareil culturel des sociétés globales et, historiquement, "le surréalisme ne tendit à rien tant qu'à provoquer, au point de vue intellectuel et moral, une crise de conscience de l'espèce la plus générale et la plus grave. Au point de vue intellectuel il s'agissait, il s'agit encore, d'éprouver par tous les moyens et de faire reconnaître à tout prix le caractère factice des vieilles antinomies destinées hypocritement à prévenir toute agitation insolite de la part de l'hom me, ne serait-ce qu'en lui donnant une idée indigente de ses moyens, qu'en le défiant d'échapper dans une mesure valable à la contrainte universelle.
Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginai re, le passé et le futur, le communicable et l'incommu nicable, le haut et le bas, cessent d'être perçus contradictoirement. Or, c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. On voit assez par là combien il serait absurde de lui prêter un sens uniquement des tructeur, ou constructeur...
Que pourraient bien attendre de l'expérience surréa liste ceux qui gardent quelque souci de la place qu'ils occuperont dans le monde ? En ce lieu mental d'où l'on ne peut plus entreprendre que pour soi-même une péril leuse mais, pensons-nous, une suprême reconnaissance." Si un homme "déclare pouvoir par ses méthodes propres, arracher la pensée à un servage toujours plus dur, la remettre sur la voie de la compréhension totale, la rendre à sa pureté originelle, c'est assez pour qu'on ne le juge que sur ce qu'il a fait et sur ce qu'il lui reste à faire pour tenir sa promesse..." (MARCEL, p. 245).
En analysant notre démarche idéatoire, nous remarquons un parallélisme entre notre conceptualisation qui favorise la parole, la communication et l'état actuel d'évolution de la société dans laquelle nous nous trouvons. En effet, un des centres de dynamisme interne des sociétés "modernes" actuelles se trouve dans l'informatique, spécialisée dans la gestion de l'information et des communications. Dans ce domaine, il y a création rapide de nouveaux langages interactifs entre les hommes et les machines (fortran, pascal, basic, lisp, cobol, logo, langage machine pour humain!, etc), et nous abordons une étape post-industrielle que certains qualifient déjà de société programmée. Il semble que le phénomène informatique soit comparable, dans son impact sur l'évolution de l'humanité, à l'invention et la diffusion quasi mondiale de l'imprimerie. Les conséquences à long terme seront sans doute encore bien plus considérables.
Les théories précédentes de l'hominisation, basées sur la fabrication d'objets, furent sécrétées par des théoriciens de l'époque industrielle.
Les théories créationnistes résistèrent, et résistent encore, dans les parties du monde gouvernées par un pouvoir religieux.
Il faut donc se résigner à cette réalité sociologique : l'individu ne peut analyser sa société qu'au travers des conceptualisations sociales de son époque, en rapport dialectique avec le reste de la culture technologique et "matérielle". Espérons simplement qu'en cette fin de XXe siècle, nos outils conceptuels, produits de notre programmation culturelle, soient un peu meilleurs que ceux du passé, car nos yeux et notre cerveau, résultats de notre programmation génétique, n'ont guère évolué.
Nous sommes aussi conscient de l'aspect nécessairement schématique de certaines de nos démonstrations, mais dans le cadre de ce court travail, il s'agissait surtout, pour nous, d'enraciner notre démarche intellectuelle aussi profondément que possible dans nos origines phylo- et ontogénétiques, puis d'explorer une partie de cet univers encore à découvrir : le psychisme humain, dans son double aspect génétique et culturel.
Le geste peut-il précéder la pensée ? Ma conceptualisation de la double programmation du comportement humain permet de répondre avec précision à cette question.
- Il faut d'abord analyser la nature du geste. Est-ce un geste instinctif ou est-ce un geste culturel. Si c'est un geste instinctif, la pensée consciente n'est pas forcément en alerte, mais elle peut prendre conscience de ce geste. C'est d'ailleurs ce qui caractérise le niveau humain : la prise de conscience des gestes instinctifs, qui permet la pensée "réflexive". Les carnassiers peuvent donc tuer une proie "sans y penser", c'est-à-dire sans pensée réflexive, sans prise de conscience. Si leur sexualité est complètement soumise aux instincts, les animaux copuleront sans prise de conscience.
- Chez l'homme, il faut distinguer entre les actes instinctifs et les actes inconscients. Un acte instinctif peut être réalisée sans la pensée. En revanche, un acte inconscient est probablement celui qui est le plus pensé ! car il sollicite en plus des circuits normaux de la pensée consciente, des circuits d'inhibition inconscients, qui d'ailleurs ne sont pas forcément des refoulements d'origine surmoïque. Pour donner un exemple : le joueur de tennis qui répète son coup droit des milliers de fois, et qui y "pense" à chaque coup, essaie en fait d'intérioriser son geste, c'est-à-dire de le rendre inconscient, ou en langage commun, automatique. Ceci, afin de libérer son cerveau conscient pour s'adapter à son adversaire, pour élaborer une tactique de jeu. Mais, s'il doit réfléchir à son coup droit, il ne pourra plus s'adapter au jeu. Il en est de même de tous les apprentissages. Conduire une automobile, probablement même de marcher sur ces deux pieds, demande un intense travail de réflexion, puis, grâce aux processus d'intériorisation, le cerveau conscient se libère.
- Il faut cependant remarquer que les comportements instinctifs ont peut-être, dans certains cas, dû être pensé. J'ai à l'idée le comportement instinctif de l'écureuil qui cache sa noix (cf. Eib-eibesfeldt). Les théories orthodoxes diraient qu'il obéit simplement à des comportements soumis à des gènes qui sont apparus au hasard! Mais dans mon hyp. je vois plutôt des bouts de comportements mémorisés puis transmis génétiquement (on retombe dans la transmission des caractères acquis). La différence entre comportements inconscients et instinctifs, c'est alors leur lieu de stockage : inconscient dans le cerveau, ils furent "réfléchi" dans l'ontogenèse comportementale; instinctif, dans le code génétique, ils furent "réfléchi" dans la phylogenèse comportementale.
Dans la perspective que le culturel continue le biologique par d’autres moyens, il faut étudier le livre de Howard Bloom, Le principe de Lucifer : « Ce sont les mèmes qui construisent les superorganismes sociaux… Les mèmes sont aux superorganismes ce que les gènes sont à l'organisme… Les mèmes étirent leurs vrilles dans le tissu de chaque cerveau humain, nous amenant ainsi à nous coaguler en ces masses coopératives que sont les familles, les tribus et les nations. »
L'exemple de Paul, de la religion chrétienne est l’un des plus significatif. En effet, l'environnement mémétique de Saint Paul est complètement différent de celui des apôtres. C'est un urbain, fils de citoyen romain, ayant fait de hautes études et s'exprimant dans la langue de l'élite internationale : le Grec. Dès le début, il rencontre des difficultés avec le monde galiléen traditionnel auquel appartient Jésus et ses disciples restés très proches de leur communauté d'origine.
Confronté à cette situation, "il entame une campagne mémétique vigoureuse pour rallier les "gentils", des Grecs, des Romains, des Anatoliens, des Siciliens, des Espagnols. Au cours de cette campagne, Paul fut l'un des créateurs d'un nouveau concept : la religion transmissible. Il la libère de l'ancienne notion selon laquelle un dieu était un emblème de l'héritage tribal et tranche les liens qui attachent la divinité aux gènes. "Grâce à Paul, le mème chrétien allait rassembler un mélange incroyable de gènes. Les gènes grecs et romains aux cheveux foncés, les gènes scandinaves aux yeux bleus et aux cheveux blonds, les gènes africains à la peau noire, et même quelques gènes chinois et japonais. Des gènes dont les hélices génétiques étaient tellement différentes se retrouvèrent réunis par un fil commun. Ce lien impalpable était un nouveau même ".
Ainsi l'évolution de la culture judéo-chrétienne de l'Ancien Testament (pour lequel les filiations génétiques ont une grande importance) au Nouveau, et ce jusqu'à nos jours, se traduit par un enrichissement mémétique continu (2).
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Daniel Bloch
25 questions
Sociologie générale
Préparation examen Juin 1986
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Un travail sur l'interférence entre le psychique et les productions scientifiques (production mythologique)
[1] PIAGET J., "Mes Idées", Editions Denoël/Gonthier, Paris, 1977, p. 113.
[2] DURKHEIM, 1895, pp. 36-37.
[3] Ici, il faudra pouvoir montrer comment, malgré cette affirmation, les comportements individuels, ainsi que les codes culturels, transcendent les codes génétiques. Le palier culturel module le palier génétique. Les variétés culturels, comme le rituel du mariage, procède du sociologique, mais le besoin du mariage connait deux sources: culturel (pression sociale) et génétique (pression sexuelle), complémentairement.
[4] Cf. Comte.
[5] ARON R., "Les étapes de la pensée sociologiques", Ed. Gallimard, 1967, p. 201.
[6] Socrate, Le Christ, Che Guevara en sont les exemples les plus illustres, parmi des milliers de novateurs sociaux inconnus..
[7] Il n'en est malheureusement pas de même dans beaucoup d'autres couches et ethnies de la population mondiale, et l'idée même d'évolution n'est pas universellement acceptée.
[8] 1973, p. 9.
[9] VALERY P., , p. (réf. manque).
[10] GROF S., 1984, p. 12.
[11] LAMUNIERE, , p. 49.
[12] DUCASSE P., 1974, p. 9.
[13] MARX, "Etudes philosophiques", Paris, Ed. Sociales, 1951, p. 64.
[14] FREUD S., 1973, p. 10.
[15] FROMM E., 1963, p. 13.
[16] LABORIT H., 1983, pp. 85-86.
[17] ARON R., "Les étapes de la sociologie", p. 202.
[18] cf. Léonard de Vinci ou Michel-Ange. Trouver les livres qui en parlent.
[19] En Suisse, tout essai de vie "alternative" est sévèrement réprimée. Les centres autonomes, les "Zaffarya" sont toujours expulsés de leur lieu de vie alternatif.
[20] HAINARD, octobre 1983, pp. 2-3; voir aussi HAINARD, janvier 1986, et FELBER, 1986, concernant des expériences culturelles alternatives en Californie.
[21] Les dentistes observent en effet que la proportion des hommes modernes possédant des "dents de sagesse" va diminuant; certains individus, particulièrement des femmes, naissent sans canines à la machoire supérieure.
[22] MONTENAT, 1984, p. 107.
[23] SEABEOK, 1965, p. 12.
[24] EIBL-EIBESFELDT, 1973, p. 14.
[25] pp. 15-16.
[26] EIBL-EIBESFELDT, 1974, p. 236.
[27] Le complexe d'Oedipe, découvert par Freud, doit certainement être de ce type de comportement phylogénétique, ce qui réduit à néant les critiques de Malinovski.
[28] EIBL-EIBESFELDT, 1974, p. 238.
[29] In MORIN, t1, 1974, p. 219.
[30] GURVITCH, 1962, p. 299.
[31] MONTENAT, 1984, p. 57.
[32] "Le Cerveau", nov. 1979, pp. 13-14.
[33] Pourtant, la socialisation se fait par récompense et punition, par Droit et Devoir, il faut faire cela, mais pas ceci. Donc, un aspect binaire tout de même très fort.
[34] LORENZ, p. 328.
[35] LORENZ, 1981, p. 329.
[35] La génétique et la culturelle.
[36] MONTENAT, 1984, p. 71.
[37] LANGANEY, 1976, p. 175.
[38] HERZBERG, 1972, p. 75.
[39] Ibidem, pp. 95/96, y compris le schéma.
[40] LANGANEY, 1979, p. 176.
[41] Par exemple, la continence sexuelle imposée par certaines institutions.
[42] LEROI-GOURHAN, 1963, p. 114.
[43] L'Ecriture, p. 349.
[44] LAPLANCHE, 1981, p. 362.
[45] Par exemple des robots qui fabriquent d'autres robots identiques à eux-mêmes, ou encore plus performants.
[46] Des robots qui apprennent et s'améliorent eux-mêmes sans l'intervention de l'homme, par mémorisation des essais et des erreurs.
[47] Ce qui est déjà le cas pour les satellites-robots.
[48] Les ordinateurs font actuellement déjà un auto-diagnostic de leur fonctionnement.
[49] LAPLANCHE, 1981, p. 56.
[50] Ics = Inconscient. LAPLANCHE, 1981, p. 57.
[51] LAPLANCHE, 1981, p. 241.
[52] Analogiquement, nous avons le champ magnétique d'un électro-aimant. L'électricité étant fournie par la société, qui maintient le champ. (L'image est à revoir).
[53] LAPLANCHE, 1981, p. 245.
[54] Laplanche cite FREUD, 1938, p. 74.
[55] FREUD, 1923, p. 179. LAPLANCHE, 1981, p. 251.
[56] LAPLANCHE, 1981, p. 471.
[57] Notamment dans son ouvrage de 1924, Psychose et Névrose.
[58] Point C.328 du plan de M. ERARD, in Cahiers de l'ISSP no 5, septembre 1984, pp. 111-118.
[59] On peut aussi se demander si un enfant chinois apprend aussi facilement une langue européenne, et vice-versa.
[60] Voir à ce sujet les théories racistes nazies.
[61] D'abord familiale: les parents, puis économique: le patron, puis sociale et politique: du maire au chef de l'Etat.
[62] MONTENAT, 1984, pp. 56-57.
[63] Voir Revue HISTORIA, "Cherchez l'enfant pour saisir l'histoire", Octobre 1983, N° 443 H.S., pp. 70-73. Les filles louves de Midnapore (1920); L'enfant-léopard des monts Cachari (1920); L'enfant-gazelle du Sahara (1960); Victor, l'enfant-singe de l'Aveyron; Une fille-phoque en Champagne).
[64]
Par exemple, la programmation culturelle nazie imposait aux individus allemands
de détruire les individus juifs. Une programmation génétique interdit le
meurtre du congénère (c'est l'un des ordres génétiques qui permet à la
programmation culturelle religieuse d'imposer l'ordre d'aimer son prochain
comme soi-même). Donc conflit entre la programmation culturelle et la
programmation génétique. De plus, ce qui prouve l'existence chez l'homme d'un
ordre génétique qui interdit de tuer un congénère, se sont les efforts
colossaux entrepris par la propagande nazie pour présenter le juif comme non-aryens,
donc non-humain. Les autres européens avaient utilisés le même truc pour
présenter les noirs comme non-humains, et ainsi favoriser le commerce et
l'utilisation des esclaves. Les colonisés, de même, n'étaient pas considérés
comme humains (cf. Les damnés de
[65] J'ai oublié de mentionner les contradictions entre les diverses cultures, notamment entre la programmation culturelle scientifique en zones "capitalistes" et la programmation culturelle scientifique en zones "communistes". Il y a aussi les programmations religieuses, comme l'Islam actuellement.
Il faut distinguer les programmations purement culturelles (s'il en existe) et les programmations comportementales "mixtes" au sujet de la sexualité, du territoire, de la compétition entre mâles, entre femelles.
[66] POHLENZ, p. 79.
[i] C'est le cas pour Einstein. "L'effondrement des légendes bibliques sous les coups répétés de la science a nourri dans son esprit l'impression qu'un Etat qui encourage la religion abuse la jeunesse par des mensonges.
Erreur ! Source du renvoi introuvable., écrit-il. (Philosopher-Scientist, p. 5)." KOUZNETSOV B., "Einstein, sa vie/sa pensée/ses théories", Ed. Marabout université, p. 41, Paris, 1967.